Congrès PIPOL 6

Congrès PIPOL 6

Congrès européen de Psychanalyse

Bruxelles – 6 et 7 juillet 2013

Après l’Œdipe

Diversité de la pratique psychanalytique en Europe

Gil Caroz

Directeur du Congrès

EuroFédération de Psychanalyse
6eCongrès de l’EuroFédération de Psychanalyse
PIPOL 6

Cet argument développé reprend les axes qui organiseront le blog PIPOL 6

 

L’argument 

« Après l’Œdipe » ? Qu’est-ce que cela veut dire ?
Que le monde n’est plus comme avant : le Père n’est plus épatant. Sa fonction est usée, elle a été pluralisée, nivelée. Qui se souvient encore de la force de ses interdits, du respect qu’il suscitait, de la dignité de ses idéaux ? Aujourd’hui, on ne lui accorde plus aucun crédit a priori. Il doit sans cesse faire ses preuves, en acte plutôt qu’en parole. La jouissance a du mal à se faire réguler. Le contrôle et la surveillance, déployés par le maître contemporain, n’ont rien à voir avec ce qu’était l’autorité d’un père. On le déplore et on tente d’attraper la jouissance par des outils empruntés à la science et, au pire des cas, à un scientisme affolé, allant main dans la main avec un capitalisme illimité.

Vous faites dans la sociologie du père. L’Œdipe est pourtant un concept psychanalytique, tout un appareil !
En effet, l’Œdipe a été la seule boussole de la psychanalyse pendant longtemps. Il indiquait, sous la forme d’un complexe, une pathologie. En même temps, il était l’étalon d’un parcours « normal » chez le névrosé, tandis qu’il se présentait sous la modalité d’une absence radicale, d’un trou, d’une forclusion chez le psychotique. La psychanalyse d’orientation lacanienne nous permet d’élargir la clinique bien au-delà de cette référence œdipienne, pour accueillir des cas qui lui sont en quelque sorte indifférents. Les avancées les plus récentes de J.-A. Miller, à partir du dernier enseignement de Lacan, permettent de traverser ce standard œdipien pour cerner la charpente, le nœud que le sujet s’est construit pour affronter son existence, la jouissance qui s’est produite de la rencontre contingente entre le signifiant et le corps – point extrême de singularité que nous appelons l’Un tout seul.

Encore un effort s’il vous plaît, soyez plus concret…
Les addictions de toutes sortes, les troubles dys (lexie, graphie, calculie, orthographie,… ), les troubles de l’hyper (sexualité, activité), les troubles de l’adaptation, de la personnalité antisociale, de l’HP (Haut potentiel)… tous ces troubles hypermodernes témoignent de la montée au zénith d’une jouissance qui ne se résorbe pas dans la structure. On est chaque fois dans le trop. Trop de consommation, trop d’agitation, trop d’intelligence, trop d’anti, trop de plaisir… Cette perte de la mesure témoigne aussi bien de ce que le phallus a perdu de sa vigueur. Notons que les noms donnés à ces communautés de parlêtres hyper ou dys sont autant de tentatives de classer les sujets, non pas à partir de leurs constructions symboliques, mais à partir de la jouissance qui les rassemble. Cette nécessité de prendre les choses par le bout de la jouissance n’échappe bien évidemment pas à la psychanalyse d’orientation lacanienne. Mais celle-ci opère en sens inverse : elle vise chez chacun ce qui de la jouissance lui est absolument singulier, sans aucune commune mesure avec la jouissance d’un autre. À tirer jusqu’au bout les conséquences de l’Un tout seul, nous dirons qu’il y a autant de classes que de cas.

Qu’en est-il alors de la différence entre les sexes Après l’Œdipe ?
Le nivellement de la fonction paternelle est corrélé à un nivellement du phallus qui du coup perd sa fonction d’opérateur de la différence entre les sexes. Plusieurs phénomènes de civilisation en témoignent : les gender studies, le mariage qui, d’être arraché à la religion, tend vers le contrat et fait fi de la différence sexuelle, la chirurgie qui permet de faire passer dans le réel les positions fantasmatiques du sujet… La boussole phallique a perdu sa brillance et son opérativité, les propriétaires du pénis ne savent d’ailleurs plus que faire de cet organe devenu réel qui les encombre. Observez les garçons et les filles à l’école, et vous verrez que les filles « nagent » beaucoup plus facilement dans la logique du pastout. L’avenir est féminin.

Ne faudrait-il pas procéder à des travaux de rénovation qui réinstaurent le père ?
Certainement pas ! D’abord, parce que c’est impossible. Ensuite, parce que militer pour des causes perdues conduit au désespoir. Ceux qui continuent à rêver de restaurer le père virent d’ailleurs vers l’une ou l’autre forme de fondamentalisme. Non. Il ne s’agit pas de réanimer le monde d’hier. Plutôt s’agit-il de regarder le monde contemporain tel qu’il est, droit dans les yeux, et d’adapter notre pratique à l’ère d’Après l’Œdipe.

Après l’Œdipe, comment l’analyste fait-il ?
Il fait ! Il sort de son cabinet, il ne se confine plus dans une position clandestine, sous la barre. Il se mêle de la politique, s’immisce dans le « social », dans les institutions de santé mentale, interpelle les fonctionnaires afin de réintroduire le sujet dans les considérations de l’Autre. Et surtout, dans sa pratique, il s’adapte à cette confrontation directe avec la jouissance qui ne passe plus par les médiations symboliques que l’Œdipe mettait jadis à sa disposition. À l’interprétation au nom du père, celle qui fait sens, il substitue un nouveau maniement de la jouissance de l’Un tout seul, celle qui est fixée au corps. L’analyste qui était déchiffreur de l’inconscient devient le pragmatique qui, par sa présence et celle de son corps, converse, noue, dénoue, desserre, consolide… Un bricoleur qui opère avec l’inconscient réel qu’il y a, plutôt qu’avec l’inconscient transférentiel qui sait.

Suis-je après l’Œdipe ?
Subjectivement, on n’y est jamais complètement. C’est un horizon. En tout cas, la psychanalyse d’orientation lacanienne a à sa disposition une boussole très efficace pour naviguer dans cette zone d’Après l’Œdipe. Une boussole nommée passe. Il s’agit d’une zone qui s’atteint une fois que le sujet a traversé un certain nombre de constructions qui lui servent de défense par rapport au réel : identifications, fantasmes, idéaux, et leurs effets répétitifs (à distinguer des addictions) dans la vie quotidienne : émotions, bravoures, lâchetés, échecs, conflits inutiles, peurs, passages à l’acte… Bref, tout ce qui est humain. Dans cette zone au-delà des écrans, il n’y a que pulsion et hors-sens. Le praticien peut s’enseigner de ceux qui explorent cette zone de l’outrepasse, pour tendre vers une dimension d’invention nécessaire à la clinique de ces sujets pour lesquels le standard œdipien ne donne aucune orientation efficace.

Je reste sur ma faim !
Le Deuxième Congrès Européen de Psychanalyse sera l’occasion d’en savoir plus. Nous aborderons les conséquences de l’ère Après l’Œdipe et parlerons de la diversité de la pratique psychanalytique en Europe. C’est que, au-delà du standard œdipien, les inventions ne peuvent être que diverses. Par ailleurs, cette diversité comporte également une dimension politique. L’EuroFédération de Psychanalyse est implantée dans différents pays qui parlent des langues différentes et qui ont des cultures différentes. Chaque praticien orienté par la psychanalyse adapte sa pratique au contexte dans lequel il travaille, sans pour autant céder sur l’unicité de la psychanalyse. Lors de ce Congrès, nous dessinerons la carte de l’Europe à partir des particularités de la pratique psychanalytique dans chacune de ses régions.

————————-

Congrès PIPOL 5

Congrès PIPOL 5

Congrès européen de Psychanalyse

Bruxelles – 2 et 3 juillet 2011

La Santé mentale existe-t-elle ?

EuroFédération de Psychanalyse
6eCongrès de l’EuroFédération de Psychanalyse
PIPOL 5

Cet argument développé reprend les axes qui organiseront le blog PIPOL 5

 

L’argument 

Un grand nombre de psychanalystes travaillent dans des institutions qui portent le label de la Santé mentale. Le psychanalyste est en effet concerné par une clinique des ravages liés au discours de l’Autre, que Freud a désigné comme « malaise dans la civilisation ». Or, quand un psychanalyste occupe la place du travailleur de la Santé mentale, il entretient un débat permanent et bien nécessaire avec ce concept, car il y a une antinomie entre la notion de Santé mentale et la psychanalyse.    

Là où la Santé mentale se met au service de l’ordre public1, la psychanalyse tente d’aménager une place pour la « dinguerie » de chacun. Là où la Santé mentale tente de standardiser le désir pour mettre le sujet au pas des idéaux communs, la psychanalyse soutient une revendication du droit au « pas comme tout le monde »2. Là où la Santé mentale porte la trace d’une charité, la psychanalyse, selon le mot de Lacan, « décharite » et soulage le sujet de la volonté de « l’Autre qui vous veut du bien ». En effet, plutôt que de se vouer à se coltiner la misère du monde, le psychanalyste tâche d’incarner la cause du désir pour le sujet de l’inconscient3.      

Mais pourquoi mettre en question l’existence même de la Santé mentale ? 

C’est que les tournures que prend l’usage de ce terme depuis quelques décennies sont corrélées à une dilution inquiétante de la clinique « psy ». Jadis la confrontation entre les disciplines impliquées dans la Santé mentale était source d’un débat rigoureux, dont les fondements scientifiques étaient repérables. Les protagonistes de ce débat n’ont eu de cesse à raffiner leurs observations cliniques afin de fonder leurs arguments.

Aujourd’hui ce débat s’est éteint. Les États ayant fait de la Santé mentale leur affaire, c’est la coordination politique et économique de son action qui est à l’avant-plan. Les figures qui représentent l’Autre de la Santé mentale poussent vers un consensus,  là où jadis il y avait un débat de savants4. Ainsi le DSM, afin d’éviter tout grincement, se veut « a-théorique » et sa rédaction se mesure à l’échelle de la norme statistique et de l’opinion publique. Certaines universités tentent de diluer la clinique des souffrances psychiques dans un flou « bio-psycho-social ». La définition de la Santé mentale par l’OMS dans des termes de « promotion du bien-être » et de « prévention des troubles mentaux » étend son action à tous, sans distinction.

Ce consensus crée un brouillard épistémique qui éloigne la Santé mentale du réel de la clinique. L’idée d’un trouble mental qui serait objectivable et curable écarte l’étude du symptôme qui conjugue la jouissance singulière du sujet avec sa vérité. La référence au « bien-être » n’est qu’une réduction des vertus préconisées jadis par les sagesses à un hygiénisme qui se donne des allures scientifiques. 

Sur le terrain, ce flou n’est pas sans effets. L’évaluation basée sur des questionnaires parasite la rencontre clinique véhiculée par la parole et le transfert. La nosographie psychiatrique s’est transformée en continuum qui gomme les différences entre les souffrances psychiques aiguës et la simple condition humaine. Le marché des psychotropes profite sans doute de cette globalisation du champ d’application de la Santé mentale, devenue un idéal à atteindre. Les thérapies cognitivo-comportementales, qui font fi du sujet de l’inconscient, tentent de s’imposer au nom d’une grande efficacité démontrée « scientifiquement ». Nous nous trouvons face à une doctrine clinique qui prétend que le « trouble mental » est pour tout le monde, tandis que l’inconscient n’est pour personne. Du coup, les cas présentant une souffrance aiguë avec un danger de passage à l’acte passent souvent à la trappe.    

Nombre de praticiens en Europe résistent à ce mouvement de dilution et tiennent à l’orientation psychanalytique. Toutes les mesures sont bonnes afin de les soumettre à la liquidité épistémique et éthique qui s’installe : l’appel au législateur et aux études « scientifiques » afin de discréditer leurs formations et leurs pratiques, et si cela n’est pas assez, le dénigrement voire la diffamation. 

Adhérents à la psychanalyse lacanienne, nous faisons partie de ces praticiens. Nous ne cédons ni sur notre orientation, ni sur la rigueur clinique qu’elle exige. Mais nous déplorons les ravages commis au nom de la Santé mentale qui nous ont privés de quelques interlocuteurs sérieux. Aussi, nous ne revendiquons pas un consensus, nous revendiquons un débat. De là notre question : que veut dire aujourd’hui la Santé mentale ? Et de surcroît : existe-t-elle ? 

————————-