Une interview de Christiane Alberti, présidente de l’Ecole de la Cause freudienne par Patricia Bosquin-Caroz, directrice du Congrès PIPOL 8

20 décembre 2016 par Patricia Bosquin-Caroz

Patricia Bosquin Caroz — En France, il fut dernièrement question d’interdire la psychanalyse appliquée au traitement de l’autisme ? Que s’est-il passé ?

Christiane Alberti — En voulant « condamner et interdire » la psychanalyse « sous toutes ses formes » dans la prise en charge de l’autisme, le projet de résolution déposé à l’Assemblée nationale par le député Fasquelle et débattu le 8 décembre dernier,  est apparu d’emblée comme un texte liberticide sans précédent. Il portait atteinte à l’évidence aux libertés fondamentales chères à notre pays, « patrie des droits de l’homme » : liberté de pensée, liberté académique, liberté de choisir sa méthode de soins et d’éducation…

Même à se limiter au traitement de l’autisme, ce texte foncièrement autoritaire, n’a d’équivalent que dans des régimes totalitaires. Aucune démocratie, aucun état de droit n’avait osé formuler une telle interdiction doublée d’une condamnation toute morale.

Cette résolution est contraire aux prudentes recommandations de l’HAS qui ont classé la psychanalyse parmi les méthodes « non consensuelles », et jamais parmi les « non recommandées ».  Contrairement à ce qui est avancé, le projet s’appuie, en fait de science, sur une vulgate scientiste qui exige qu’un seul courant d’opinion, groupe de pression intéressé, soutenu par de puissants lobbys internationaux, règne en maître : celui qui assure la promotion et le marché des thérapies cognitivo-comportementales.

PBC — L’Ecole de la cause freudienne s’est très vite mobilisée contre ce projet liberticide. Quelle fut son action ?

CA L’Ecole de la cause freudienne, avec l’Institut de l’Enfant, a pris l’initiative d’une lettre aux députés, soutenue par 102 premiers signataires qualifiés, lettre qu’il s’est agi de faire connaître, diffuser, signer. Notre premier objectif  fut d’empêcher le vote de cette résolution. La mobilisation s’est avérée énorme d’emblée, d’une poussée constante qui n’a jamais faibli. Les moyens déployés, nombreux et alertes, ont suscité un élan, un entrain, indéniables qui indiquent qu’une telle initiative de riposte était attendue, et que nos collègues étaient bien décidés à croiser le fer avec tous ceux qui veulent interdire la psychanalyse. La pétition a recueilli en une dizaine  de jours plus de 20 000 signatures. Elle a rencontré un désir.

Un blog fut créé pour y signer la pétition, www.cause-autisme.fr, puis enrichi en quelques jours d’un florilège d’articles et de rubriques. Un compte Twitter @lacauseautism a été mis en place ainsi qu’une page Facebook.

Conjointement à cette mobilisation, les délégations régionales de 17 ACF sont allées à la rencontre systématique des députés, pour les éclairer, les informer, les alerter, en comptant qu’ils s’opposeraient à ce texte illiberal et obscurantiste. Une édition spéciale du Nouvel Ane fut réalisée en deux jours et distribuée auprès de chacun des députés et sénateurs. Nul, dans l’Ecole et dans l’Institut de l’enfant,  n’a ménagé ses forces pour faire entendre les enjeux cruciaux de ce vote.

Cette mobilisation populaire fut décisive. La résolution N°4134 invitant le gouvernement « à condamner et interdire la pratique de la psychanalyse sous toutes ses formes dans la prise en charge de l’autisme » a été rejetée par le vote de la majorité des députés participant au vote. L’épisode de cette résolution était clos. Mais le combat restait entier. En effet, pour qui a suivi le débat qui s’est tenu le 8 décembre à l’Assemblée nationale, il est peu douteux que si le texte avait été moins outrancier et plus respectueux de certaines conditions juridiques, il n’aurait pas suscité le même rejet, car son orientation générale suscitait l’adhésion de certains qui ont voté pour le rejet.

PBC — Votre action a pesé lourd dans la balance, vous avez pu éviter qu’un gouvernement ne condamne la psychanalyse et pourtant vous ne semblez pas rassurée. Vous allez poursuivre le combat ?

C.A — La prise en charge de l’autisme est assurément devenue une question brûlante de société, à voir la précipitation d’événements que ce vote a engendrés : articles dans la presse papier, dans la presse électronique,  mentions ou commentaires sur différentes radios. Prises de positions politiques, auditions à l’Assemblée nationale. Cette résolution constitue une nouvelle stigmatisation des sujets autistes et des psychanalystes. Ceux qui l’ont soutenue espéraient sans doute surfer allègrement sur la vague de désinformation sans précédent qui accumule préjugés et contre vérités sur la psychanalyse : que les psychanalystes ne travaillent pas avec les parents,  culpabilisent les mères, veulent enfermer les enfants autistes… Elle se traduit notamment dans les institutions par une véritable chasse aux sorcières.

Oui, d’autres combats s’annoncent, pour la cause de l’autisme et pour la psychanalyse. Le Blog La cause de l’autisme www.cause-autisme.fr entend y contribuer. Son objectif : informer, mobiliser, partager, faire connaître.

Il rassemble déjà un réseau de correspondants en régions. Car la prise en charge de l’autisme connaît une situation fort préoccupante. De graves carences dans les prises en charges et accompagnements des autistes sont indéniables et nous avons à constituer un lieu d’adresse pour que ces manquements et les souffrances qu’ils engendrent puissent se dire.  Ce blog veut contrer l’offensive tendant à interdire la psychanalyse. Il peut être une base pour cette contre-offensive.

PBC — Vous évoquez une offensive…

CA  Car c’est bien cela qui en définitive était en jeu dans cette résolution : une offensive sans précédent qui vise à faire interdire la psychanalyse, de l’espace public dans un premier temps. Elle révèle que l’autisme est un cheval de Troie pour les TCC. Mais pourquoi, comme l’a si bien dit Jean-François Cottes, « ont-elles besoin des pouvoirs publics, du gouvernement, de l’Assemblée Nationale pour assurer leur promotion, et même pour se faire imposer de force ? ».

Disons qu’elles incarnent la méthode, la rhétorique, le discours qui convient à l’idéologie de l’évaluation. Et l’évaluation apparait aujourd’hui comme la seule idéologie consistante qui dans le champ académique, sanitaire et social, rencontre  comme seul verrou la psychanalyse, en ce qu’elle se fonde, qu’elle se transmet, via le transfert. Que pourra-t-on contre la force du transfert ?

Depuis plusieurs années, l’Ecole de la Cause Freudienne à travers ses Journées d’études, ses moyens de diffusion numériques, visent à rendre plus visible, lisible ce qu’est la pratique de  la psychanalyse aujourd’hui : une pratique rigoureuse et contrôlée, en constante évolution.  Cet accent tient compte du contexte actuel de l’Ecole, son contexte direct, à savoir le champ psy. Il s’agit de prendre la mesure de l’évolution de ce contexte ces dix dernières années, dés lors que les institutions sont sommées de marcher au pas de la biopolitique. La psychanalyse ne dispose plus des relais qu’elle a eus pendant des décennies, dans le champ universitaire. Et le contexte académique nous est défavorable, à considérer les politiques publiques relatives aux champs sanitaire et médico-social. Il s’agit de compenser ce déficit dans la diffusion et dans l’adresse. D’où l’enjeu de mesurer et comprendre  l’ampleur de l’évaluation et de ses conséquences. « Il était fatal que les psychanalystes se choquent avec les évaluateurs » avait avancé J.-A. Miller dans Voulez-vous être évalués ?

PBC — Et maintenant ?

CA — En décembre 2016, tout un peuple s’est levé pour dire non à l’interdiction de la psychanalyse. C’est une vague qui va s’amplifier et qui aura des suites…