La cause de l’Autisme : L’échec temporaire d’une propagande par Gil Caroz

La cause de l’Autisme : L’échec temporaire d’une propagande par Gil Caroz

L’échec temporaire d’une propagande par Gil Caroz, vice-président de l’ECF

20 décembre 2016

Le 8 décembre 2016, à l’Assemblée nationale, ce sont les dénégations de Mr Fasquelle, poussé dans ses derniers retranchements lors du débat sur sa proposition de résolution, qui ont signé un échec momentané d’un programme de propagande contre la psychanalyse. Non, s’est-il exclamé, ce n’est pas un combat contre la psychanalyse. Non, a-t-il ajouté, ce n’est en rien totalitaire. Non, ajoute le psychanalyste, ce n’était pas sa mère.

Si le projet de résolution de monsieur Fasquelle a été rejeté, c’est parce qu’il a été liberticide en invitant le gouvernement français « à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques dans toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme ». Il n’y a pas que les psychanalystes qui ont entendu les dénégations de Mr Fasquelle, la majorité des députés l’a entendu également. Mais ce rejet qui constitue pour nous une bataille gagnée, n’a rien de rassurant. Bien au contraire. Compte tenu du débat qui s’est tenu à l’Assemblée, nous avons toutes les bonnes raisons de penser qu’un projet de résolution semblable mais rédigé de façon plus habile aurait été voté par une majorité de députés. En effet, la plupart des députés qui se sont exprimé ne semblaient pas avoir comme préoccupation première la défense de la psychanalyse. A suivre les débats qui ont précédé le vote, la tendance dominante à l’Assemblée reflète le discours de civilisation qui est aux commandes bien au delà de la France en matière de santé mentale. Un discours qui ne jure que par les bonnes pratiques évaluées par l’idéologie du chiffre. Dans ce sens, le combat qui se mène actuellement en Belgique contre la loi sur les professions des soins de santé mentale est identique. Il concerne un discours ambiant qui règne chez nous, les occidentés, bien avant et au-delà des événements De Block ou Fasquelle.

Or, si le projet Fasquelle est une chronique d’un échec annoncé, le programme de propagande bien orchestrée qui l’a précédé nous semble fort inquiétant. Nous avons pu entendre que la psychanalyse est une pratique non consensuelle. Le terme « non consensuelle » a pour l’HAS un sens précis, celui d’une pratique qui ne peut pas être évaluée selon l’idéologie du chiffre-explique-tout. Mais le sens de ce terme glisse dans le débat, et dévient rapidement un adjectif fait pour décrire une pratique « inefficace » et très contestable. Comme si les pratiques TCC, recommandées par l’HAS seraient, elles, « consensuelles ». Bonne blague. L’annuaire de l’EuroFédération de psychanalyse recense 2500 praticiens de la Santé mentale autour du Champ freudien qui sont par essence opposés aux pratiques de dressage par les TCC. Il suffit de cette donnée pour contester le supposé « consensus » autour de thérapies TCC.

La propagande va encore plus loin quand elle associe la psychanalyse au packing pour insinuer qu’elle serait une pratique maltraitante. Cela se trouve dans l’appel fait au gouvernement dans la proposition de résolution, à faire reconnaître par la Fédération française de psychiatrie les recommandations de bonnes pratiques « afin qu’elle renonce officiellement au packing, à la psychanalyse et à toutes les approches maltraitantes » (sic !). Ailleurs, nous avons pu lire que les psychanalystes « noyautent les universités », qu’ils font de l’enfant autiste un objet de leur fantasme, et bien-sûr, l’ancienne rengaine totalement fausse selon laquelle la psychanalyse « culpabilise » la mère et la famille. La cerise sur le gâteau est l’exigence de Mr Fasquelle à ce « qu’on cesse d’induire les familles en erreur et de leur imposer des traitements dont elles ne veulent pas ». On aurait envie de s’exclamer en réponse : que Mesdames et Messieurs les adhérents du lobby anti-psychanalyse commencent !

Ces choses écrites sont entendues à l’ONU. La manœuvre est claire. On fait dire au Comité des droits de l’enfant de l’ONU qu’elle « constate » qu’en France, « les enfants autistes continuent de faire l’objet de thérapies psychanalytiques inefficaces »[1]. Ensuite, quand on demande des comptes aux députés qui signent le projet de la résolution fasquelienne, ils répondent : que voulez-vous ? Nous ne faisons que vouloir appliquer les directives de l’ONU. La boucle est bouclée.

Ainsi, le projet de résolution a été rejeté, mais le mal est fait. Les choses ont été dites, et elles feront leur chemin. Rien de bon ne nous attend dans l’avenir sauf à continuer notre travail de psychanalystes, c’est dire l’analyse du discours scientiste ambiant afin de dévoiler sans répit la malveillance de ces tentatives de figer le savoir de l’inconscient, de le faire taire à jamais, par des moyens légaux.

[1] Nations-UNIS, Convention relative aux droits de l’enfant du 23 février 2016

La cause de l’Autisme : Manifeste pour un abord clinique de l’autisme

La cause de l’Autisme : Manifeste pour un abord clinique de l’autisme

Manifeste pour un abord clinique de l’autisme

Ce Manifeste de l’Institut psychanalytique de l’Enfant a été diffusé dès février 2012, en réponse à une première proposition de loi du député D. Fasquelle, visant à interdire la psychanalyse du champ des soins aux sujets autistes. Il retrouve ici toute son actualité.

Autisme et psychanalyse : nos convictions

 

L’Institut psychanalytique de l’Enfant a pris connaissance ces derniers mois d’une étrange campagne qui vise à exclure la psychanalyse de la prise en charge des enfants et adolescents autistes. Cette campagne culmine maintenant avec une proposition de loi qui a fait réagir de nombreux représentants professionnels[1] et les
plus grandes associations familiales (UNAPEI[2]).

Ladite campagne procède d’un intense travail de lobbying qui allègue des intentions louables : améliorer les conditions d’une catégorie de la population. En fait, il s’agit pour ses promoteurs d’obtenir des pouvoirs publics des subventions massives au bénéfice de méthodes de conditionnement, de façon à offrir des solutions ready-made aux familles qui cherchent avec inquiétude des solutions là où il y a une réelle pénurie d’accueil institutionnel.

L’Institut psychanalytique de l’Enfant réunit des psychanalystes, des intervenants d’institutions spécialisées – psychiatres, psychologues, infirmiers, orthophonistes, psychomotriciens -, des professionnels de champ de l’enfance – enseignants, éducateurs, juristes, médecins… – qui agissent depuis de nombreuses années auprès des enfants en souffrance, en s’orientant de la psychanalyse, de Freud, de Lacan et des avancées les plus actuelles de la recherche clinique.

C’est à ce titre que l’Institut psychanalytique de l’Enfant, par sa Commission d’initiative, souhaite prendre position. Il s’agit ici de témoigner des principes qui gouvernent notre action.

1 – Rappelons qu’en France, à partir des années 60-70, ce sont les psychiatres d’enfant et les psychologues formés à la psychanalyse qui commencent à se préoccuper du sort des enfants autistes jusqu’alors placés en hôpital psychiatrique ou en institution fermée, où la dimension déficitaire était prépondérante. Ils prennent appui sur les psychanalystes anglo-saxons Frances Tustin, Margaret Malher, Donald Meltzer, et sur l’institution de Maud Mannoni « l’École expérimentale de Bonneuil », avec les travaux de Rosine et Robert Lefort, élèves de J. Lacan.

L’ensemble de ces travaux donne aux praticiens – psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, orthophonistes, psychomotriciens – l’idée d’un traitement possible et d’apprentissages qui tiennent compte du symptôme du sujet, au delà de la coercition.

Les hôpitaux de jour, dans le mouvement de sectorisation de la psychiatrie, se créent dans cette perspective. Il s’agit d’offrir un accueil qui ne soit pas basé sur le déficit et qui tienne compte de la particularité de chaque sujet. La situation familiale fait partie de cette particularité, car les constellations familiales sont loin d’être toutes identiques. Les parents sont reçus, écoutés. Les enfants, les adolescents, sont reçus dans des petits groupes, sollicités pour des « ateliers » où peuvent se décliner leurs intérêts. Dans les moments de repas, de jeux, d’étude, ils expérimentent de nouveaux rapports avec les objets et avec les demandes, avec ce qui structure le monde de tous les enfants, mais dont les enfants autistes se défendent.

2 – Cette longue expérience de diagnostic, d’accompagnement des familles, de mise en place de parcours spécialement tissés pour chacun, a fait l’objet de nombreuses publications et de recueil de travaux. Elle n’aurait pas pu se soutenir sans la référence quotidienne à la psychanalyse, à son corpus textuel, à son enseignement vivant.

Comment situer aujourd’hui la place de la psychanalyse dans le traitement de l’enfant autiste ? Nous proposons 5 axes de réponse :

  • La formation analytique, c’est-à-dire l’expérience d’une psychanalyse personnelle, donne aux intervenants un outil puissant pour situer leur action auprès des sujets autistes à la bonne distance, en se tenant à distance d’idéaux de normalisation ou de normalité incompatibles avec l’accompagnement professionnel de sujets en souffrance.
  • Ce respect de la position du sujet est la boussole qui oriente en effet cette action. Il ne s’agit en aucun cas de laisser l’enfant, l’adolescent, être le jouet par exemple de ses stéréotypies, répétitions, écholalies, mais, en les considérant comme un premier traitement élaboré par l’enfant pour se défendre, d’y introduire, dans une présence discrète, des éléments nouveaux qui vont complexifier « le monde de l’autisme ».
  • L’enjeu est d’abord que puisse se localiser pour l’enfant l’angoisse ou la perplexité que déclenche en lui l’interpellation d’un autre et la mise en jeu des fonctions du corps dans leur lien avec cette demande – se nourrir et se laisser nourrir, perdre les objets urinaires et anaux, regarder et être regardé, entendre et se faire entendre. Les psychanalystes ont depuis longtemps noté la dimension de rituels d’interposition que constituent de nombreux traits symptomatiques invalidants. La création ou la découverte par l’enfant d’un « objet autistique », quelle qu’en soit la forme, est souvent une ressource féconde pour créer des liens et des espaces nouveaux, plus libres des contraintes « autistiques ».
  • Les psychanalystes ne contestent en aucune façon l’inscription des enfants autistes dans des dispositifs d’apprentissage. Ils mettent au contraire en valeur que le sujet autiste est déjà bien souvent « au travail ». Les autistes dits « de haut niveau » témoignent en ce domaine d’un investissement massif de la pensée, du langage, et du domaine cognitif, où ils trouvent des ressources inédites. Plus généralement, pour tous les enfants, les praticiens cherchent à privilégier les approches pédagogiques et éducatives qui savent s’adapter pour faire une place aux singularités sociales et cognitives des enfants autistes. Enseignants et éducateurs témoignent, au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, de ce qu’ils ont élaboré avec l’enfant ou l’adolescent.
  • En revanche les psychanalystes s’élèvent avec la plus grande force contre des méthodes dites « d’apprentissage intensif», qui sont en réalité des méthodes de conditionnement comportemental, qui utilisent massivement le lobbying, voire l’intimidation, pour promouvoir des « prises en charge » totalisantes, qui s’auto-proclament seul traitement valable de l’autisme. Loin de cette réduction, il faut différencier les différentes approches de l’apprentissage. Les psychanalystes et les intervenants, regroupés au sein de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, représentant toutes les catégories professionnelles présentes dans le champ de l’enfance, se déclarent tout spécialement attachés, pour les enfants et adolescents autistes, aux systèmes de soin et d’éducation existant en France, tant qu’ils permettent de répartir les responsabilités respectives et différenciées entre les professionnels du soin, de l’éducation, et les parents.

3 – Les classifications actuelles des troubles mentaux- spécialement le DSM – jettent une grande confusion dans le débat, faisant apparaître au même niveau diagnostic des symptômes de l’enfance tels que le bégaiement ou l’énurésie, des « troubles » référés à une normalité sociale (tels que les « troubles oppositionnels avec provocation » ou les « troubles des conduites »), et l’autisme (« trouble autistique »). L’autisme, et ses diverses formes, se trouve ainsi isolé comme le seul véritable tableau clinique de la catégorie « Troubles envahissants du développement ». Les débats en cours sur la continuité du « spectre des autismes », sur l’opportunité de maintenir dans la même série des TED les dits « Asperger », montrent combien cette catégorie est instable. A l’intérieur de ce « spectre », il faut examiner dans le détail les phénomènes d’envahissement du corps et situer les manifestations étranges et inquiétantes dont il est la proie. Les psychanalystes et les nombreux praticiens d’orientation lacanienne accompagnent ainsi de nombreux enfants et adolescents dans cette élaboration qui leur permet de garder ou de trouver une place dans le lien social et familial. Les parents peuvent alors s’autoriser à parler de certains traits de leur enfant, d’en saisir la valeur, malgré leur caractère étrange. Ce travail est nécessairement long, car il suppose de prendre en cause une différence de l’enfant qui vient à l’encontre des attentes et des désirs qui entourent sa présence au monde. Le psychanalyste, en place de recueillir cette souffrance, doit être attentif à la souffrance des parents et les soutenir dans leur épreuve.

4 – Des hypothèses étiologiques multiples – génétique, vaccinale, neurocognitive, etc.- présentées comme des vérités scientifiques à la suite souvent d’un unique article paru dans une revue, dont on apprendra quelques mois ou années plus tard le caractère biaisé, circulent dans les divers médias et affolent les familles. Ces hypothèses causales viennent répondre strictement à la réduction de l’autisme à un trouble du développement, présenté comme une maladie génétique voire épidémique. Elles se confortent de la loi de 2005 sur le handicap, qui ne vise pourtant aucunement à porter une sentence du type « C’est un handicap, donc cela n’est pas une maladie», mais à permettre une orientation adaptée pour l’enfant et une aide pour la famille. Beaucoup sur ce point reste à faire, et les associations de parents sont une force indispensable et incontournable pour faire avancer des projets adaptés, en particulier pour les très jeunes enfants et pour les grands adolescents et les jeunes adultes. En ce sens, l’annonce de l’autisme comme grande cause nationale ne pouvait que réjouir tous ceux qui sont mobilisés dans les soins apportés aux enfants et adolescents autistes.

5 – Les psychanalystes suivent tous les débats scientifiques autour des causes de l’autisme infantile. Quelles que soient ces causes, elles ne peuvent réduire le sujet à une mécanique. Ils prennent en compte les souffrances qu’ils rencontrent et ils promeuvent les institutions et les pratiques qui garantissent que l’enfant et sa famille seront respectés dans le moment subjectif qui est le leur. Ils facilitent, chaque fois que cela est possible, l’insertion de l’enfant dans des liens sociaux qui ne le mettent pas à mal. Ils ne sont pas détenteurs d’une vérité « psychologique » sur l’autisme, ils ne sont pas promoteurs d’une « méthode éducative » particulière. Ils sont porteurs d’un message clair pour le sujet autiste, pour ses parents, et pour tous ceux qui, en institution ou en accueil singulier, prennent le parti et le pari de les accompagner – et les psychanalystes sont de ceux-là : il est possible de construire un autre monde que le monde de défense et de protection où est enfermé l’enfant autiste. Il est possible de construire une nouvelle alliance du sujet et de son corps. L’effort de tous vise à démontrer cliniquement cette possibilité.

Le 2 février 2012

La Commission d’initiative de l’Institut psychanalytique de l’Enfant

Mme Judith Miller (Paris) – Dr Jean-Robert Rabanel (Clermont-Ferrand)
Dr Daniel Roy (Bordeaux) – Dr Alexandre Stevens (Bruxelles)

[1] Collectif des 39 : http://www.oedipe.org/fr/actualites/autisme39
Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux : http://www.sphweb.info/spip.php?article937
[2] UNAPEI : http://www.unapei.org/IMG/pdf/2012_01_20CPUnapei_PPLAutisme.pdf

La cause de l’Autisme : Nos enfants valent mieux que ça Lettre de Mireille Battut

La cause de l’Autisme : Nos enfants valent mieux que ça Lettre de Mireille Battut

Proposition de résolution parlementaire n° 4134, à l’initiative de M. Daniel Fasquelle

Nos enfants valent mieux que ça !

 

En ces temps de campagne, chacun fourbit ses armes, et l’autisme est une valeur qui monte. Certains s’en sont fait un fonds de commerce, d’autres découvrent l’affaire avec le zèle des nouveaux convertis. Monsieur Fasquelle, député LR, fondateur du groupe d’études sur l’autisme au sein de l’Assemblée nationale est un vieux routier. Il connait par cœur les mots clés qui sont présumés faire grimper les parents au plafond de l’applaudimètre. Profitant d’un intervalle parlementaire, il présente une  résolution (déposée le 13 octobre pour être mise aux voix le 8 décembre prochain) à laquelle 93 députés se sont ralliés.

La résolution Fasquelle pose tout d’abord l’extension du domaine : « À ce jour,  on recense  600 000 autistes en France soit environ une naissance sur 100 ou 800 000 naissances par an. ». Passons sur la coquille de 800 000 naissances autistes par an, qui correspond en  fait  au nombre de naissances totales (760 400 naissances en 2015) et sur le « recensement » (en fait une estimation) de 600 000 autistes en France alors que le  ministère  de  la  Santé  communique le chiffre 440 000 personnes. Si nous  retenons  le  taux  de  prévalence  estimé par le ministère d’une naissance pour 150 (ce qui est déjà important), nous, familles concernées pouvons dire que 5070 nouvelles familles  découvrent  l’autisme  chaque  année et viennent nous rejoindre dans le défi qui a changé nos vies à jamais.

Comment sont-elles accueillies ? Comment sont-elles écoutées ? Un nourrisson reste lourd quand vous le soulevez, rit pour un rai de lumière, un je ne sais quoi voile son appréhension du monde. Un enfant ne réagit pas à l’appel de son prénom, perd le langage après l’avoir appris, ou n’y accède pas. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Malaise profond, souffrance indicible de ne pas savoir le qualifier. Combien de familles cependant témoignent que le pédiatre a minimisé voire raillé ces préoccupations. L’errance est un enfer qui transforme en quête le diagnostic pourtant redouté. TSA, TED, ou « autre trouble non spécifié » : un spectre s’est invité au sein de la famille. Il est des mots qui sont comme des tessons de bouteille. Il faut frotter longtemps pour en abraser le coupant. Et pourtant, Jim Sinclair, fondateur du mouvement américain de Self Advocacy ASAN nous invite, dans une lettre admirable aux parents, « Don’t mourn for us », à considérer que le deuil n’est pas celui de notre enfant, mais de l’image que nous avions de l’enfant rêvé.

Or c’est avec notre enfant réel que nous allons apprendre, réapprendre, avec lui, de lui. Monsieur Fasquelle affirme que la « science internationale » connait ce qui est bon pour notre enfant mieux que nous, et mieux que les professionnels qui s’occupent de lui. Il considère que nous devons  appliquer, pour l’éduquer, des protocoles définis dans l’Ohioi il y a quarante ans et exige que « seuls les thérapies et les programmes éducatifs qui sont conformes aux recommandations de la Haute Autorité de santé soient autorisés et remboursés ». Or, la science et le progrès des connaissances évoluent, mais Monsieur Fasquelle tient à sa ligne Maginot. car comme l’indique une pétition de médecinsii, « il sait bien que ces recommandations sont partiellement caduques  et  risquent  d’être  prochainement  révisées. », notamment parce que les résultats des 28 centres expérimentaux, tous

appliquant les méthodes que Monsieur Fasquelle veut rendre obligatoires, se sont révélés décevantsiii. Nous sommes attachés aux progrès de la science, mais n’est-il pas abusif d’attribuer le label de science à des programmes éducatifs ? Et si les programmes éducatifs sont de la science, alors nous, parents, devons être éduqués à devenir des exécutants de ces programmes, qui seuls pourront être enseignés – puisque Monsieur Fasquelle veut les imposer à l’exclusion de toute autre approche – dans les universités et la formation professionnelle.

Quant aux fédérations professionnelles, elles sont sommées de « reconnaître sans aucune réserve et officiellement les recommandations de bonnes pratiques de la HAS et de l’ANESM afin qu’elle renonce officiellement au packing, à la psychanalyse et à toutes les approches maltraitantes ». Monsieur Fasquelle  pratique un art  consommé de la conjonction « et » qui  lui permet tous les glissements. Il ne dit pas que la psychanalyse est maltraitante, mais il l’accole à la maltraitance, ce qui lui permet d’inviter « le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme ». La psychanalyse étant une pratique légale, l’interdire aux seuls  autistes revient à dire qu’ils ne sont  pas  des  humains  comme  les  autres.  Monsieur  Fasquelle invite donc le Gouvernement français à mettre les autistes, formellement et juridiquement, en marge de l’humanité. N’y a-t-il pas autre chose à entendre dans la demande de soin, qui ne peut jamais être imposée sans  détruire  son  objet,  comme  le  montre suffisamment le débat douloureux sur les soins sans consentement.

Le sujet de la maltraitance n’est pas à prendre à la légère  et  la  résolution  dévoile  un  scandale d’une ampleur inédite : « En 2014, 44 % des personnes autistes étaient victimes de maltraitance, soit 250 000 personnes autistes sur les 600 000 que compte notre pays. ». (Même en corrigeant de la surévaluation initiale, l’on arrive au chiffre considérable de 44% de 440 000 soit 193 600 personnes autistes maltraitées). Ce chiffre est en réalité  une  extrapolation  à  partir de la réponse de 236 familles à la question « votre enfant a-t-il subi des mauvais traitements ou des carences en matière de soin » dans une enquête réalisée auprès de 538 familles par le Collectif Autismeiv.

Enfin, Monsieur Fasquelle appelle à prendre des mesures immédiates sur un sujet  central : le droit à l’éducation inclusive (qui est notons le très peu présent dans les recommandations HAS de 2012). Il invoque à ce titre une  résolution  du  Conseil  de  l’Europev mais néglige de signaler que le Conseil de l’Europe met en avant la défaillance française en accompagnants dans les écoles (AVS) et leur précarité et préfère  inviter fermement « le Gouvernement français à réallouer en totalité les financements des prises en charge n’étant pas explicitement recommandées aux approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». Sans doute entend-il, en s’attaquant ainsi aux institutions qui accueillent souvent les plus démunis de nos enfants, apporter sa contribution à l’œuvre  salutaire de suppression de 500 000 fonctionnaires, dont on voit mal comment elle pourrait  être compatible avec l’amélioration des  conditions  d’intégration  scolaire  des  enfants autistes.

L’on reste confondu que le président d’un groupe d’étude qui proclame travailler sur l’autisme depuis 2011, s’appuie sur des chiffres fantaisistes pour susciter l’effroi et justifier ses rodomontades, et surtout soit incapable d’aligner la moindre mesure

constructive dont les familles ont tant besoin, tant du côté du soin, comme de développer les réseaux de soins somatiques adaptés, de mettre fin à la pénurie d’orthophonistes, de pédopsychiatres, de psychologues…. que du côté de l’éducation, comme de sortir les accompagnants scolaires de la précarité, de déplafonner les âges d’accueil de nos jeunes à l’école pour tenir compte de leur fréquent retard scolaire, de favoriser enfin le pluralisme des approches, pour que chacun trouve une solution à sa mesure…vi

Mesdames et Messieurs les députés, il nous reste peu de temps pour nous ressaisir. Au moment où s’ouvre la concertation pour un quatrième plan Autisme, repartons sur d’autres bases. Nos enfants valent mieux que ça.

 

Cachan, le 28 novembre 2016

Mireille Battut Présidente

La main à l’oreille lamainaloreille@gmail.com www.lamainaloreille.wordpress.com

i Voir Xavier Briffaut « Santé mentale, santé publique, un pavé dans la mare des bonnes intentions »

ii  Pétition de médecins https://www.change.org/p/à-tous-les-médecins-pour-la-liberté-de-prescription-des-médecins-contre-l- instauration-d-une-science-d- état?recruiter=641180747&utm_source=share_petition&utm_medium=email&utm_campaign=share_email_responsive

iii http://www.autistes-et-cliniciens.org/L-experimentation-institutionnelle-d-ABA-en-France-une-severe-desillusion iv http://www.collectif-autisme.org/PDF/DP-Droits%20collectif%20Autisme-.pdf

iv Conseil de l’Europe (4 février 2014, Résolution CM/ResChS(2014)2

v https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805c66e2

vi  https://lamainaloreille.wordpress.com/2015/10/03/intervention-au-senat-reorienter-le-3eme-plan-autisme/ https://lamainaloreille.wordpress.com/3eme-plan-autisme/contribution-de-lamao-en-vue-du-3eme-plan-autisme/

La cause de l’Autisme : Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes

La cause de l’Autisme : Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes

Un projet de résolution liberticide concernant le traitement des autistes Par Jean-Claude Maleval.

 

Pourquoi quelques députés Les Républicains éprouvent-ils le besoin de déposer une résolution demandant à l’Assemblée Nationale de se déclarer en faveur des recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant la prise en charge des autistes ?[1] Que les professionnels aient à prendre en compte ces recommandations n’est-ce pas l’évidence même ?

Les signataires du projet de résolution seraient-ils contrariés par l’intervention du Président de la République qui, lors la Conférence nationale du Handicap, le 19 mai 2016, a souhaité que le 4ème plan Autisme soit celui « de l’apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre ». Certains députés semblent considérer que de tels propos sont trop modérés et que le Gouvernement devrait adopter une position plus radicale.

Pour ce faire, ils procèdent à un détournement des recommandations de la HAS sur au moins trois points :

  • En voulant transformer des recommandations en injonctions, postulant ainsi que la science de l’autisme serait achevée.
  • En affirmant à tort que les méthodes recommandées sont validées scientifiquement.
  • En prétendant que la psychanalyse se trouverait dans la liste des méthodes non recommandées, alors que la HAS a pris soin de ne pas se prononcer quant à la pertinence de l’approche psychanalytique.

Ces trois distorsions des indications de la HAS orientent dans le même sens : adopter une position radicale dans un domaine complexe caractérisé par des données scientifiques qui ne permettent que de très prudentes recommandations.

Vouloir mener jusqu’à son terme une interdiction des pratiques psychanalytiques avec les autistes, comme le prône la résolution, se heurterait immédiatement à un problème quasi-insoluble : définir celles-ci. Dans une acception stricte de la pratique analytique, elle n’est nulle part mise en œuvre avec les autistes, et que dans une acception large, elle y est presque partout.

La méthode inventée par Freud avec les névrosés (divan, associations libres, interprétations des fantasmes et des symptômes) n’est aujourd’hui nulle part mise en œuvre avec les autistes. La référence analytique en ce domaine est en général combinée à d’autres approches (psychothérapie institutionnelle, thérapie par le jeu, thérapie par affinités, psychomotricité, orthophonie, voire techniques éducatives et autres). Qui plus est, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. Faudrait-il pour cette raison interdire une méthode pourtant recommandée ? À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ? Aucun marqueur de ce genre n’étant disponible, nul doute que les bras tomberaient au législateur s’il devait s’atteler à répondre à cette question.

Chacun sait que les débats autour de l’autisme sont d’une extrême complexité. Les experts les plus compétents avouent peiner à le définir, son acception variant au gré des éditions des manuels de psychiatrie, ils ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi son extension semble être devenue épidémique lors des dernières décennies, tandis qu’ils restent très prudents quand ils se prononcent sur la qualité des traitements éducatifs. Il fait consensus dans la littérature scientifique internationale que les traitements validés connaissent plus d’échecs que de réussites – ces dernières dans les méta-analyses atteignant à peine 50%. Dès lors d’où vient le savoir des quelques députés signataires du projet de loi leur permettant de trancher dans des problèmes pour lesquels les spécialistes restent en de grandes incertitudes ? Selon eux des recommandations de la HAS promulguées en 2012.  Mais les ont-ils lues ?

  • Ils classent les pratiques psychanalytiques dans la liste des méthodes non recommandées ; or elles se trouvent dans celle des « méthodes non consensuelles ». En raison des divergences des experts, aucun consensus n’a pu être obtenu, de sorte que la HAS ne s’estime pas en mesure de prendre parti sur ce point. Quelles sont les données scientifiques nouvelles dont disposent les députés justifiant leur détournement des conclusions de la HAS ?
  • Les députés Les Républicains considèrent qu’il existe des « approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». La HAS se montre beaucoup plus prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique. Les recherches les plus récentes s’avèrent plus réservées encore. En 2014, est publié par l’AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality ), un rapport de plus de 500 pages, quasi-exhaustif sur la littérature scientifique de langue anglaise concernant les approches éducatives de l’autisme. Il est constaté que les résultats les plus robustes mettent en évidence un gain concernant les capacités cognitives et les compétences linguistiques. Cependant les améliorations s’avèrent moins marquées concernant la sévérité du noyau des symptômes autistiques, les compétences adaptatives et le fonctionnement social[2]. « Notre confiance (fondée sur le niveau de la preuve), écrivent les experts, dans l’efficience des approches précoces et intensives fondées sur l’ABA concernant la cognition et le langage reste modérée, du fait que des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin d’identifier quel groupe d’enfants tire le meilleur bénéfice des approches spécifiques de forte intensité. Le niveau de preuve quant à l’aptitude de ces interventions de forte intensité à produire un effet sur les compétences comportementales d’adaptation, sur les compétences sociales et sur la sévérité du noyau des symptômes autistiques est faible. [3] Qui plus est, en ce qui concerne l’acquisition des compétences cognitives et linguistiques leur impact sur le long terme reste incertain : beaucoup d’études n’ayant pas suivi les enfants au-delà de la pré-scolarité tardive ou des toutes premières années de scolarité[4].
  • Il a été procédé en France, entre 2010 et 2014, à l’expérimentation de la méthode ABA dans 28 structures expérimentales bénéficiant de conditions d’encadrement et de financement particulièrement favorables. Une expertise indépendante observe que le taux d’inclusion scolaire des enfants autistes après plusieurs années de traitement n’y est que de 3%. (Les attentes avoisinaient 50% voire plus)[5]. Les évaluateurs aboutissent à un constat d’échec : « malgré les progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, le nombre de sorties est resté très limité sur la période, alors même que ce modèle d’intervention ne peut être tenable financièrement que si l’accompagnement intensif pour un même enfant est limité dans le temps (logique de parcours). »[6] Dès lors leur conclusion est nette : « cette solution est certes intéressante en termes de niveau individuel de prestation, mais n’est tout simplement pas tenable financièrement »[7].
  • Les députés signataires semblent ignorer que la seule méthode ayant fait l’objet d’interventions des tribunaux pour suspicion de maltraitance est la méthode ABA – pourtant privilégiée par eux. Les punitions n’ont été exclues de celle-ci qu’à la suite de décisions des tribunaux américains prononçant l’illégalité des pratiques aversives. Néanmoins, au Centre Camus de Villeneuve d’Ascq, établissement pilote pour l’introduction de la méthode ABA en France, elles ont continué à être pratiquées, suscitant la plainte d’un parent d’enfant autiste. L’enquête de l’Agence Régionale de Santé qui s’en est suivie concluait que ce centre présentait des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis »[8]. Le recours en diffamation de la directrice du Centre a été rejeté[9]. Qui plus est, beaucoup d’autistes de haut niveau, tels que Michelle Dawson, dénoncent « les terribles souffrances des premières semaines d’ABA. » Elle considère probable que « les pleurs, les cris perçants, et les fuites soient ceux du soulèvement d’un enfant qui est forcé de manière répétitive à abandonner ses points forts »[10]
  • Les députés ignorent la montée prometteuse de la thérapie par affinités, qui fait aujourd’hui l’objet d’études approfondies, or la HAS ne pouvait la prendre en compte en 2012 puisqu’elle n’existait pas encore. Bien que les fondateurs de cette méthode (Suskind, Dan Griffin) n’utilisent aucun concept freudien ; sa pratique orientée, non vers la rééducation, mais vers le développement des affinités du sujet, s’avère présenter de nombreuses convergences avec la pratique des institutions pour lesquelles la référence psychanalytique est majeure[11].
  • Les députés n’ont pas eu connaissance d’une étude de l’INSERM postérieure aux recommandations du 3ème plan autisme. Elle établit que suivis en psychothérapie 50 enfants autistes sont parvenus à des « changements significatifs » après seulement un an de prise en charge. Parmi les thérapeutes 80% se référaient à la psychanalyse, 20 % à des approches cognitivo-comportementales ou à celles du développement psychomoteur. L’étude confirme ce que met en évidence la thérapie par affinités, à savoir l’importance que l’enfant soit acteur du traitement et que le thérapeute soit en mesure de s’ajuster à ses capacités. Les auteurs concluent : « le point majeur qui découle de ces constatations est que l’approche psychothérapique mise en œuvre par le thérapeute dépend pour une part importante – et peut-être complètement – des possibilités qui lui sont offertes ou non par le fonctionnement de l’enfant, quelle que soit l’approche de référence »[12]. Mettant en évidence que des approches différentes peuvent les unes et les autres induire des changements significatifs, et que l’adhésion de l’enfant à la méthode proposée est un élément décisif, cette étude de l’INSERM est une invitation particulièrement probante à promouvoir la liberté de choix des traitements.

Les députés signataires semblent méconnaitre que la Fédération française de psychiatrie, qu’ils mettent en cause, ne se prononce pas quant à la psychanalyse avec les autistes, en revanche elle reste attachée à liberté de choix des traitements. Que l’Etat vienne à rompre avec ce principe en prenant parti dans des débats scientifiques d’une grande complexité n’a pas d’équivalent dans un régime démocratique et ne peut que rappeler des dérives totalitaires. Il fallait être Staline pour vouloir imposer la biologie de Lyssenko.

Les institutions orientées par la psychanalyse lacanienne ne pratiquent pas le packing avec les autistes. L’interdiction de celui-ci est cependant exemplaire d’une désinformation associée aux pratiques psychiatriques et psychanalytiques. Initialement nommé « emmaillotement humide », le packing est pratiqué en psychiatrie depuis le XIXème siècle. À l’encontre d’autres pratiques, dont on peut regretter qu’elles soient rarement critiquées (telles que la sismothérapie ou l’isolement), il n’avait jamais fait l’objet de plaintes de la part de patients hospitalisés. Ce n’est que depuis 2007, sous l’impulsion de certains parents d’autistes, que le packing est soudainement devenu une pratique maltraitante, voire une « torture ». Celle-ci est bien atypique puisque il est des autistes pour témoigner l’apprécier et en redemander[13]. Certes il en est d’autres qui le rejettent. Il ne devrait être imposé à personne – pas plus que ne devraient l’être les violences initiales de la méthode ABA.

L’opposition du Pr Golse au nom de la CIPPA[14] à l’initiative de résolution proposée à l’Assemblée nationale a immédiatement suscité les habituelles réactions outrancières (comparaison des psychanalystes aux nazis !) et toujours aussi mal informées. Répéter sans cesse dans les médias que les psychanalystes culpabilisent les parents et considèrent l’autisme comme une psychose tend à faire passer pour pertinentes auprès du grand public ces réductions simplistes. Or la fameuse « mère frigidaire » imputée aux psychanalystes est une notion introduite par Kanner qui n’était pas psychanalyste. La position nuancée de Bettelheim est sans cesse caricaturée : certes il considère parfois que le désir inconscient des parents serait à l’origine de l’autisme, mais il affirme aussi que celui-ci résulte d’une réaction propre de l’enfant à son environnement. Une psychanalyste telle que Frances Tustin, qui a marqué tout autant que Bettelheim l’approche psychanalytique française de l’autisme, se prononce très clairement dès les années 90 contre toute imputation de celui-ci au désir des parents. M. Mannoni a certes soutenu le contraire concernant les enfants « arriérés », ce que la moitié des autistes ne sont pas. Cependant la référence majeure dans le champ lacanien concernant l’autisme ne fut jamais M. Mannoni : dès 1980 ce furent les travaux de Rosine et Robert Lefort qui parurent incontournables. Or ceux-ci orientent très différemment. D’une part, ils laissent ouverte la question de la causalité de l’autisme ; d’autre part, ils s’employèrent à établir que l’autisme serait une structure subjective originale – différente de la psychose. Cette thèse trouve aujourd’hui crédit en se fondant sur des arguments nouveaux auprès de psychanalystes lacaniens. En matière d’approche psychanalytique de l’autisme, les médias et les détracteurs ne veulent connaître que Bettelheim et Mannoni ; les spécialistes citent au moins tout autant Tustin et les Lefort.

Certes il se trouve des parents pour attester de paroles blessantes proférées à leur égard par des psychanalystes ; mais combien aussi pour témoigner de menaces exprimées par des thérapeutes ABA : « si vous n’adoptez pas une méthode validée scientifiquement, votre enfant se suicidera ». L’incompétence n’est pas l’apanage d’une seule profession.

Vouloir donner force contraignante à des « recommandations » serait méconnaître qu’en matière de santé les vérités d’aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Cela conduirait à dresser un obstacle à toute tentative de faire progresser les connaissances sur la prise en charge des autistes, pourtant actuellement insuffisantes et incertaines. Les efforts pour figer le savoir ne font pas bon ménage avec le progrès.

Jean-Claude Maleval

Lire le projet de résolution n°4134 – cliquer ici

[1] Le projet de résolution n° 4134 déposé à l’Assemblée Nationale le 13 Octobre 2016 se trouve à la suite de ce texte en annexe.
[2] Weitlauf AS, McPheeters ML, Peters B, Sathe N, Travis R, Aiello R, Williamson E, Veenstra-Vander-Weele J, Krishnaswami S, Jerome R, Warren Z. Therapies for Children With Autism Spectrum Disorder: Behavioral Interventions Update. Comparative Effectiveness Review No. 137. (Prepared by the Vanderbilt Evidence-based Practice Center under Contract No. 290-2012-00009-I.) AHRQ Publication No. 14-EHC036-EF. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality; August 2014, p. 79. http://www.effectivehealthcare.ahrq.gov/reports/final.cfm.
[3] Ibid., p. 80.
[4] Ibid., p. 79.
[5] L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion. (en collaboration avec M. Grollier). Lacan Quotidien n° 568 et 569. Février-Mars 2016.
[6] Cekoïa Conseil. Planète publique. Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme. CNSA. Rapport final. Février 2015, p. 82.
[7] Ibid., p. 86.
[8] Dufau S. A Lille, le procès d’une méthode de traitement d’enfants autistes. Médiapart. 2 Juillet 2012. www. mediapart.fr
[9] Dufau S. Vinca Rivière et l’association Pas à Pas perdent leur procès face à Médiapart. 6 Mars 2015. http://www.mediapart.fr
[10] Dawson M. The misbehavior of behaviorists. Ethical challenges to the autism-ABA industry. [2004] En ligne sur No Autistics Allowed.
[11] Perrin M. s/d. Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme. Presses Universitaires de Rennes. 2015.
[12] Thurin J.-M., Thurin M., Cohen D., Falissard B., «Approches psychothérapeutiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études de cas», Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014), p.102-118, http://www.isir.upmc.fr/fles/2014ACLN3103.pdf
[13] En ce qui concerne le packing, cf l’excellente mise au point du Pr David Cohen. https://u2peanantes.files.wordpress.com/2015/08/edito-neuropsy-david-cohen-efbfbd-monsieur-franccca7ois-hollande-2016.pdf
[14] Golse B. Réaction à la proposition visant à l’interdiction de la psychanalyse dans l’autisme. https://blogs.mediapart.fr/bernard-golse

La cause de l’Autisme : Oui au libre choix de la méthode de soin

La cause de l’Autisme : Oui au libre choix de la méthode de soin

Pétition : Oui au libre choix de la méthode de soin – Non à l’interdiction de la psychanalyse

 

PRISE EN CHARGE DE L’AUTISME
OUI AU LIBRE CHOIX DE LA MÉTHODE DE SOIN
NON À L’INTERDICTION DE LA PSYCHANALYSE

 

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les députés,

Nous voulons attirer votre attention sur la dérive liberticide de la proposition de résolution déposée par Monsieur Fasquelle et quatre-vingt-treize députés auprès de la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016, invitant le Gouvernement à « promouvoir une prise en charge de l’autisme basée sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé », tout en l’invitant également « à condamner et interdire les pratiques analytiques sous toutes leurs formes car n’étant pas recommandées par la HAS ».

Nous sommes très surpris que cette proposition fasse suite à l’intervention du Président de la République qui, lors la Conférence nationale du Handicap, le 19 mai 2016, a souhaité que le 4e Plan Autisme soit celui « de l’apaisement et du rassemblement. Parce que nous devons avoir toutes les réponses et les réponses les plus adaptées, sans préjugés et sans volonté d’imposer une solution plutôt qu’une autre ».

Tout au contraire, l’orientation de cette résolution vise à faire adopter politiquement une position radicale dans un domaine complexe caractérisé par des données scientifiques qui ne permettent que de très prudentes recommandations.

Cette proposition procède clairement à un détournement des recommandations de la HAS sur au moins trois points :

  • en voulant transformer des recommandations en injonctions
  • en affirmant que les méthodes recommandées sont validées scientifiquement
  • en prétendant que la psychanalyse se trouverait dans la liste des méthodes non recommandées, alors que la HAS a pris soin, en l’absence de consensus entre experts quant à la pertinence de l’approche psychanalytique, de la classer dans la liste des méthodes non consensuelles. Non consensuelle ne veut pas dire non recommandée.

Chacun sait que les débats autour de l’autisme sont d’une extrême complexité. Son acception varie au gré des éditions des manuels de psychiatrie, et les divers travaux ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi son extension semble être devenue épidémique lors des dernières décennies, tandis qu’ils restent très prudents quand ils se prononcent sur la qualité des traitements éducatifs. Il fait consensus dans la littérature scientifique internationale que les traitements recommandés connaissent plus d’échecs que de réussites – ces dernières dans les méta-analyses atteignant à peine 50 %. Dès lors, sur quoi se fonde ce projet de résolution pour appeler à trancher dans des problèmes pour lesquels les spécialistes restent en de grandes incertitudes ?

Les députés signataires considèrent qu’il existe des « approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». La HAS se montre beaucoup plus prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique. Par ailleurs, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ?

Les députés signataires semblent méconnaitre que la Fédération Française de Psychiatrie, qu’ils mettent en cause, ne se prononce pas quant à la psychanalyse avec les autistes, en revanche elle reste attachée à la liberté de choix des traitements. Que l’Etat vienne à rompre avec ce principe en prenant parti dans des débats scientifiques, n’a pas d’équivalent dans un régime démocratique, et ne peut que rappeler cruellement des dérives totalitaires.

Vouloir donner force contraignante à des « recommandations » serait méconnaître qu’en matière de santé les vérités d’aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Cela conduirait à dresser un obstacle à toute tentative de faire avancer les connaissances sur la prise en charge des autistes, pourtant actuellement lacunaires et incertaines. Les efforts pour figer le savoir ne font pas bon ménage avec le progrès.

Mesdames et Messieurs les députés, il est plus que temps de faire entendre en ce domaine délicat la voix de la raison et que les professionnels engagés depuis de nombreuses années dans les soins et l’accompagnement des sujets autistes, enfants, adolescents et adultes, dans les secteurs de pédopsychiatrie et dans les institutions médico-sociales puissent poursuivre leur tâche dans un climat apaisé, en lien avec les parents et l’ensemble du milieu éducatif.

Mesdames et Messieurs les députés, le pluralisme des formations et des pratiques a toujours été l’orientation des politiques de santé publique, pour proposer aux familles et aux patients un libre choix éclairé pour les soins et les accompagnements. Ce projet de résolution déroge fondamentalement à cette orientation et, pour ces raisons, nous vous prions instamment de ne pas le soutenir.

 

Les 102 premiers signataires :

ABELHAUSER Alain, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2), président du SIUEERPP.
ABRIEU Alain, psychiatre hospitalier, chef de pôle, CH Edouard-Toulouse (Marseille)
AFLALO Agnès, Psychiatre, médecin-chef du CMP Croix-Rouge française de Bagnolet, ancien praticien hospitalier.
ALBERTI Christiane, Présidente de l’École de la Cause freudienne, Maître de conférences, Département de psychanalyse Paris 8.
ALLIONE Marie, Psychiatre des hôpitaux honoraire, psychanalyste.
ANSERMET François, Professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Genève, chef du service de psychiatrie d’enfants et d’adolescents aux Hôpitaux universitaires de Genève.
ANTONI Marc, psychiatre hospitalier, chef de secteur, CH Valvert (Marseille)ATTIGUI Patricia, Professeur des Universités , Professeur de psychopathologie et de psychologie clinique, Responsable du Master 2 Recherche de psychologie clinique
Université Lumière Lyon 2.
BASSOLS, Miquel, Président de l’Association Mondiale de Psychanalyse, Psychanalyste, doctorat de l’Université de Paris 8, Coordinateur de l’Instituto del Campo Freudiano en Espagne.
BIAGI-CHAI Francesca, Psychiatre des Hôpitaux , psychanalyste.
BONNET Fabrice, Endocrinologue au CHU de Rennes, Professeur de médecine à l’Université Rennes 1.
BORIE Jacques, Psychanalyste, Président de l’Association psychanalytique Rhône-Alpes (APRA).
BRAS Maxence, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
BRIOLE Guy, Psychanalyste, Professeur de psychiatrie. Ancien Directeur de l’École du Val-de-Grâce [2005-2007].
CABASSUT Jacques, Professeur de psychopathologie clinique (Université Nice Sophia Antipolis)
CALVET Éliane, Psychiatre, responsable Hôpital de jour Adolescents Aubervilliers.
CASTANET Hervé, Professeur des universités en psychopathologie clinique (Marseille), Président du Collège méditerranéen de psychanalyse (CMP).
CAUSSE Jean-Daniel, Professeur en études psychanalytiques (Université Montpellier 3), Directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Humaines et Sociales.
CHEMLA Patrick, Psychiatre et psychanalyste, Chef de pôle Reims, Responsable du Centre ARTAUD.
CIOSI Anna, Psychiatre, praticien hospitalier, Centre hospitalier de Bastia, SESSAD TSL
CIOSI Jean-Claude, ancien assistant des Hôpitaux psychiatriques de la Seine, Psychiatre des hôpitaux honoraire, Psychanalyste
CLARISSE Hélène, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
CLEMENT Marie-Noëlle, Médecin-directeur de l’Hôpital de Jour pour Enfants du Centre André Boulloche, Vice-présidente de l’Association PREAUT.
CREMNITER Didier, Professeur de psychiatrie à Paris V, psychiatre référent des Cellules d’urgence médico-psychologique.
CRESPIN Graciela, Psychanalyste, Présidente de PREAUT.DE HALLEUX Bruno, Psychologue, Directeur thérapeutique de l’Antenne 110.
DELCOURT Christophe, responsable médical IME et ESAT (Haute-Marne)
DELION Pierre, Professeur de pédopsychiatrie au CHRU de Lille.
DEVAUX Marie-Pierre, Pédopsychiatre, Responsable du Pôle de pédopsychiatrie de Haute-Marne.
DOUVILLE Olivier, Maître de conférences en psychologie clinique (Université Paris X – Nanterre), Directeur de la revue Psychologie clinique.
DRAPIER Jean-Pierre, Pédopsychiatre, Médecin-Directeur de CMPP.
ELIACHEFF Caroline, Pédopsychiatre, psychanalyste.
FLEURY Cynthia, Professeur à l’American University of Paris, philosophe, psychanalyste.
GARNIER Marie-Hélène, Pédopsychiatre, Directrice CAMSP de l’Aube.
GIANSILY Pierre, pédopsychiatre, Centre hospitalier, Bastia
GIORNO Francine, Psychiatre, Médecin-chef de l’Établissement de santé mentale de la MGEN de Rouen, Praticien hospitalier.
GOLSE Bernard, Chef de service de psychiatrie infantile à l’Hôpital Necker-Enfants malades (Paris), Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris Descartes, Président de la CIPPA.
GONON François, Neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS Université de Bordeaux.
GORI Roland, Professeur émérite de psychologie clinique (Université Aix-Marseille).
GORINI Ligia, Psychiatre, Praticien hospitalier, Chef de pôle de psychiatrie infanto-juvénile à l’EPS de Ville-Evrard.
GRANGAUD Naïma, Médecin directeur, Centre de jour Marie-Abadie
GRAZIANI Nicole, Psychiatre, Chef de pôle, Vice-présidente de la C.M.E. du Centre Hospitalier de Bastia.
GROLLIER Michel, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2).
GROSBOIS Catherine, Psychiatre, praticien hospitalier, Responsable des structures internes adolescents Nouvel Hôpital Navarre, Evreux.
GUIVARCH Armelle, Psychiatre hospitalier à l’E.P.S.M de Caudan (56).
HAM Mohammed, Professeur des universités ( psychologie et psychopathologie clinique) , université de Nice Sophia Antipolis.
HOCHMANN Jacques, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant, Médecin honoraire des hôpitaux de Lyon, auteur de Histoire de l’autisme, prix Demolombe de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.
HOFMANN Christian, Professeur et directeur de l’Ecole Doctorale Recherches en psychanalyse à l’Université de Paris Diderot.HOLVOET Dominique, Psychologue, Directeur du Courtil.
ISSARTEL Marie-Hélène, Médecin responsable de l’Hôpital de jour pour enfants de Bourgoin-Jallieu (Nord Isère).
JUSKEWYCZ Nicolas, psychiatre, pédopsychiatre, clinicien-chercheur INSERM.
KELLER Pascal, Professeur émérite de psychologie clinique (Université de Poitiers).
KRISTEVA Julia, psychanalyste, membre titulaire formateur de la SPP, professeur émérite de l’Université Paris 7, écrivain.
LACADÉE Philippe, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique Aquitania (APA, directeur de la collection Je est un autre aux Editions Michèle.
LANDMAN Patrick, Psychiatre, Président de Stop DSM.
LAURENT Éric, Psychanalyste, ancien Président de l’Association Mondiale de Psychanalyse auteur de La bataille de l’autisme.
LE MALEFAN Pascal, Professeur de psychologie clinique, (Université de Rouen).
LECOEUR Bernard, Psychanalyste, Président de l’Association Septentrionale de Psychanalyse (ASP).
LEGUIL François, psychanalyste, Ancien Praticien Hospitalier à l’Hôpital Sainte-Anne (Paris), Ancien Attaché des Hôpitaux de Paris.
LÉVY Marc, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique de la voie Domitienne (APVD), président du collège des humanités (Montpellier).
MAHJOUB Lilia, Psychanalyste, Déléguée générale de l’Entente psychanalytique (12 Associations psychanalytiques de praticiens affiliées)
MALEVAL Jean-Claude, Professeur émérite de psychologie clinique (Université Rennes 2).
MARRET Sophie, Professeur au Département de psychanalyse, Paris 8, co-directrice.
MARTIN-MATTERRA Patrick, Professeur de psychopathologie, Doyen de la Faculté de Sciences sociales et humaines (UCO Angers).
MATET Jean-Daniel, Psychiatre, praticien hospitalier honoraire, psychanalyste, président de l’Euro Fédération de psychanalyse.MELLIER Denis. Professeur de Psychologie clinique et psychopathologie. Directeur du Laboratoire de Psychologie EA 3188. Université de Franche-Comté.
MENDELLA Laetitia, Psychiatre, Directeur médical CMPP/BAPU Haute-Corse, Psychiatre du CRA Corsica.
METZ Laurence, Pédopsychiatre, responsable thérapeutique de l’IME, de l’ITEP et du SESSAD Trévidy à Morlaix.MILLER Gérard, Professeur au Département de psychanalyse, Paris 8, co-directeur.
MORILLA Esteban, Psychiatre, praticien hospitalier, responsable thérapeutique de l’Hôpital de jour l’Île Verte et du CATTP « A petit pas », CH de Cadillac/Garonne.
NAJMAN Thierry, Praticien hospitalier, Chef de pôle Centre hospitalier de Moisselles.
OTTAVI Laurent, Professeur de psychologie clinique (Université Rennes 2)
PARIENTE Francine, maître de conférences honoraire de psychologie clinique, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II).
PARIENTE Jean-Claude, Professeur honoraire de philosophie, Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II).
PERA-GUILLOT Valérie, Psychiatre, Praticien hospitalier, Chef de pôle, ex Présidente de CME (Nouvel hôpital de Navarre, Eure).
PERRIN Myriam, Maître de Conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Responsable du Groupe Recherche Autisme (Université Rennes 2).
PIERRE Richard, Directeur médical du CMPP Haute-Marne
PIGEON Hélène, psychiatre hospitalier, CH Valvert (Marseille)
POMMIER François, Psychiatre, Professeur de psychopathologie (Université Paris X – Nanterre).
RABANEL Jean-Robert, Psychiatre, Responsable thérapeutique du CTR de Nonette, Président du Cercle Psychanalytique du Centre (CPC).
REY-FLAUD Henri, Professeur émérite en études psychanalytiques (Université Montpellier 3).
ROLLIER Frank, Psychiatre, Psychanalyste, Président du Collège Lacanien  de Recherches Psychanalytiques (CLRP).
ROUAM Francis, Psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, médecin-chef de l’Espace jeunes Adultes.ROUILLON Jean-Pierre, Directeur du Centre thérapeutique et de recherche de Nonette.
ROUSSEL Hervé, Pédopsychiatre, Chef de service de Pédopsychiatrie à Bastia.
ROY Daniel, Psychiatre, Secrétaire général de l’Institut psychanalytique de l’Enfant.
SAHEBJAM Mani, psychiatre hospitalier, CH Edouard-Toulouse (Marseille)
SALIGNON Bernard, Professeur en études psychanalytiques (Université Montpellier 3).
SAUVAGNAT François, Professeur de psychopathologie (Université Rennes 2).SCHAUDER Silke, Professeur de psychologie clinique et pathologique. Université d’Amiens.
SCHMIT Gérard, ancien professeur de pédopsychiatrie et ancien chef de secteur, ancien président de la Fédération Française de Psychiatrie.
SERVAIS Anne, Pédopsychiatrie, Praticien attaché, Centre hospitalier, Bastia.
SIDON Pierre, Psychiatre, Praticien Hospitalier, Directeur de CSAPA.
SMADJA Annie, Pédopsychiatre, Directeur médical du CMPP d’Ajaccio et médecin coordinateur de l’EDAP.
SOLANO Luis, Psychiatre, Ancien Praticien Attaché à Sainte Anne, Psychanalyste, Médecin Coordonnateur de l’ITEP Le Coteau à Vitry s/Seine.
STAVY Yves-Claude, Psychiatre des hôpitaux Honoraire, Ancien chef de service de Psychiatrie infanto-juvénile à l’EPS Ville-Evrard, fondateur de l’Institut Hospitalier Soins-Études d’Aubervilliers.
STEVENS Alexandre, Psychiatre, Directeur thérapeutique du Courtil, Enseignant à la formation continue de l’Université Libre de Bruxelles.
STRELISKI Pierre, Psychiatre, Président de l’Association psychanalytique Val de Loire Bretagne (APVLB).
VANIER Alain, Psychiatre, Professeur de psychopathologie (Université Paris Diderot)
VINCENT Jean-Didier, Neurobiologiste, Neuropsychiatre. Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine.
WARGNY Éric, Pédopsychiatre de secteur infanto-juvénile.
WOERLÉ Jean-Louis, Psychiatre, Président de l’Athénée psychanalytique d’orientation lacanienne (APOL).

La cause de l’Autisme : Pour la défense de la pluralité des approches

Pour la défense de la pluralité des approches, la cause des parents et la voix de l’autiste – Ivan Ruiz

 

Par Ivan Ruiz, président de TEAdir, association des parents et des familles des personnes avec TSA
Audience devant le Comité Enfance du Parlement de Catalogne le 15 novembre 2016.

Monsieur le Président,

Chers membres de la Commission,

En tant que président de l’Association TEAdir, association des parents et des familles des personnes avec autisme, je tiens à vous remercier très sincèrement pour votre invitation à participer à cette audience devant le Comité Enfance du Parlement de Catalogne. Dans le cadre de cette Chambre, pluriel et démocratique, nous souhaitons pouvoir poursuivre un débat soutenu dans le temps.

Je voudrais toutefois tout d’abord commencer mon intervention en exprimant un malaise qui nous habite, et je parle au nom de nombreux parents que je représente aujourd’hui, qui se sentent forcés, poussés dans une confrontation stérile des traitements de l’autisme, ce qui nous éloigne de nos objectifs fondateurs.

L’Association TEAdir a été créée pour faire valoir la nécessité d’une sensibilité différente, dans la compréhension et le traitement de l’autisme, de celle qui a été représentée dans les revendications que l’Association Aprenem a faite au Congrès des députés en 2010.

Nous aimerions penser que leurs demandes ont été faites avec les meilleures intentions : ils réclamaient une amélioration de la prise en charge des personnes atteintes d’autisme. Mais, à notre avis, ils le font de la pire de manières qui soit, c’est à dire en prévoyant cette amélioration à partir d’une approche unique, soutenue par l’administration, à savoir le comportementalisme. Le positionnement de l’organisation que je représente est tout autre, et l’invitation à parler ici aujourd’hui – de mon double rôle de père et de professionnel – me permet de vous l’exposer.

  1. L’action politique en termes d’autisme

Nous croyons fermement que l’offre publique de soins pour les personnes avec autisme et leurs familles, est une question qui doit être réglée par l’administration et non par les professionnels qui sont impliqués directement dans la prise en charge des difficultés qu’une personne autiste traverse tout au long de sa vie. Comme le dit le sociologue Marcel Gauchet, « la politique est le lieu d’une fracture de la vérité. » En ce qui concerne l’autisme, ni les parents, ni les professionnels, ni les politiciens, ne sont en mesure de pouvoir affirmer des vérités absolues.

  1. Un lieu de connaissances professionnelles

Dans le débat sur l’autisme en Catalogne, au cours des dernières années, il y a eu un glissement qui nous inquiète. Nous sommes passés de ce qui devrait être une amélioration de la prise en charge des enfants autistes, à une bataille pour le traitement « le plus efficace ». Nous avons entendu des positions qui tombent dans l’exercice d’un excès de pouvoir. Bien que nous les parents pouvons apporter notre expérience au jour le jour, et au fil des années avec nos enfants, il ne nous appartient ni de développer un savoir épistémique, ni de contribuer à des consensus professionnels. Nous avons été poussés à intervenir dans un débat professionnel qui ne nous appartient pas. Nous pensons que cela ne mènera nulle part. Si nous voulons être entendus en tant que parents, nous sommes maintenant contraints de participer à ce débat.

  1. L’attaque contre la psychanalyse

Bien que la Catalogne a depuis 2012, un Plan global sur l’autisme, qui a émergé du consensus d’un large éventail de professionnels et du travail conjoint avec le ministère de l’Éducation, de la Santé et de la Protection sociale, on continue à remettre en question la formation et l’exercice de certains professionnels travaillant dans le secteur public. L’association Aprenem autisme, que vous entendrez plus tard, croit avoir trouvé la cause des maux de notre système public : les psychanalystes. Ils les désignent comme étant à l’origine du manque d’amélioration des enfants avec autisme et proposent pour y remédier, les techniques comportementales comme étant les seules scientifiquement acceptables.

  1. Les preuves scientifiques

La foi dans la science, qui est appelé scientisme, est en train de rendre un mauvais service au développement, lent mais régulier, de la communauté scientifique internationale dans le domaine de l’autisme. La très vénérée « preuve scientifique » a été prise par certains, comme le flambeau de leurs revendications, au point de dénaturer et de fabriquer ces preuves présumées, qui n’ont pas pu encore être réfutées ni confirmées. La méthode comportementaliste ABA (Applied behavior analysis), développée aux États-Unis dans les années 60 par Lovaas, a été dénoncée par les usagers et leurs familles, en raison de leurs agissements douteux du point de vue de l’éthique. Les méthodes basées sur l’ABA ont montré une efficacité limitée dans des contextes très spécifiques et ciblées sur certains comportements également très spécifiques. Aucune généralisation de cela n’a jusqu’à présent été démontrée sur la personne autiste. Et s’il s’agit des preuves, au pluriel, nous comptons des études montrant les résultats obtenus par la psychanalyse et par d’autres approches thérapeutiques. La foi aveugle actuelle, envers les « preuves scientifiques », révèle une alliance féroce entre la science et des intérêts du marché, contre les expériences singulières.

Nous, parents d’enfants autistes, vivons tous les jours, et tout au long de notre vie, avec l’autisme de nos enfants, et nous ne croyons pas qu’il y ait aucun autre évidence que celle que nous pouvons vérifier chez nos enfants, à savoir l’importance de l’attention portée à la singularité de leur être au monde. La preuve que nous vous demandons aujourd’hui de considérer n’est autre que celle de l’évidence de notre témoignage. Nous vous demandons aujourd’hui de prendre en considération notre témoignage, ainsi que celui de nos enfants.

  1. Le droit à la liberté de la formation

Notre pays compte avec une variété de professionnels impliqués, qui à partir de leurs connaissances, interviennent lors de divers moments et situations que traverse une personne autiste. Ces professionnels ont gardé jusqu’à aujourd’hui le droit de se former de la manière qu’ils jugeaient la plus appropriée devant le défi que suppose l’approche de l’autisme d’un enfant, d’un adolescent ou d’un adulte, et ceci en fonction de leur propre éthique. Nous demandons que ce droit ne soit pas violé, ni ébranlé, car nous avons besoin de l’implication soutenue et éclairée de ces professionnels. Ils contribuent, toujours avec pertinence et respect, à l’élaboration du projet de vie de nos enfants. Ils représentent pour nous, parents d’enfants autistes, un soutien solide et nous avons besoin d’eux, à chaque étape de la vie de nos enfants.

  1. Pluralité des approches dans l’autisme

Le domaine de la prise en charge précoce est actuellement au cœur des politiques de santé.

Nous comptons en Catalogne avec un réseau de Centres de prise en charge précoce sans équivalent dans le reste de l’Etat.

C’est dans ces lieux de soin que le moment délicat de l’annonce du diagnostic d’autisme est accompagné.

L’autisme se découvre et se cristallise au cours des premiers mois et années de vie de l’enfant. Il n’est pas habituel d’assister à l’apparition progressive des symptômes. Il y a plutôt, presque toujours, une irruption soudaine d’un rejet généralisé de l’enfant envers l’autre. Les interventions qui seront faites, devront être dirigées de façon à aider l’enfant à entrer dans le lien à l’autre, mais surtout, et cela est ce que nous apprécions le plus, en respectant son temps et sa temporalité.

Ce réseau de centres multidisciplinaires et pluriels de par la formation des professionnels qui les composent, a récemment été décrié par la présence excessive alléguée de psychanalystes. Je tiens à préciser devant ce comité que dans aucun de ces lieux, ils n’y travaillent en tant que tels. Par contre, vous pouvez trouver différents professionnels qui s’orientent de la psychanalyse pour faire face aux difficultés des enfants atteints d’autisme, mais aussi d’autres qui suivent par exemple, les méthodes cognitivo-comportementales. Dans tous les cas, vous ne trouverez pas une prédominance d’une approche plus que d’une autre. D’où provient alors la propagation de l’idée qu’il existerait une prédominance de l’approche psychanalytique dans les soins précoces ? Nous croyons que le respect et l’attention donnée à l’enfant en tant que sujet au cours de sa construction, est ce qui fait que les interventions de ces professionnels restent empreintes d’une attitude d’écoute et d’accompagnement. Cela est pour sûr, une priorité dans l’approche psychanalytique, mais cela nous semble ne pas lui être une exclusivité. Nous constatons dès lors qu’un malentendu a pris la forme d’une attaque basée sur la présomption d’un dysfonctionnement du système.

  1. L’autisme et l’éducation

En ce qui concerne l’éducation, la situation dans les écoles se détériore. L’inclusion éducative est passée d’être un droit pour tous les enfants à être une obligation. Cette inclusion imposée des enfants autistes est difficile compte tenu de leur vulnérabilité et de la fragilité qui les caractérise par rapport à la demande des adultes. Nous attendons le nouveau décret sur l’inclusion annoncé par le Gouvernement de Catalogne, mais nous nous demandons : De quoi parlons-nous quand nous parlons d’inclusion ? S’agit-il seulement de l’inclusion de l’enfant dans un bâtiment donné reconnu comme étant ordinaire – « normal » comme on dit –, ou plutôt de l’inclusion de l’enfant dans le lien avec les autres? N’est-ce pas cela qui est également attendu des enfants dans les centres spéciaux ou spécifiques qui existent dans notre réseau de lieux d’accueil publics? Les écoles appelées « spéciales » sont pour certains enfants autistes, la meilleure ressource et opportunité pour se construire un environnement au sein duquel il ne leur soit pas nécessaire de se montrer réfractaires.

D’une part, nous considérons que la diversité des parcours parmi les différentes institutions éducatives devrait être aussi riche et diversifiée afin que les enfants qui sont dans l’impossibilité d’être inclus dans les classes ordinaires puissent le faire dans d’autres Centres. Ceci est ce qui existe à l’heure actuelle et nous ne pouvons pas le perdre.

D’autre part, il convient de noter l’erreur évidente qui serait de faire porter sur l’école ordinaire la responsabilité du traitement de l’autisme. Le travail de coordination en réseau des différents services concernés, est ce qui se révèle être de plus en plus avantageux, pour localiser également l’enfant autiste comme protagoniste du processus éducatif.

Sans aucun doute, la crise économique actuelle a laissé des nombreuses écoles sans les ressources suffisantes, mais surtout, a nui à la confiance dans ce que les équipes éducatives font : accueillir et favoriser l’émergence du consentement à être éduqué chez l’enfant avec autisme.

L’autisme nous confronte à une irréductible singularité. Chaque enfant autiste l’est à sa manière. Si cela est vrai pour tout être humain, ça l’est davantage encore dans le cas de l’autisme. Impossible de traiter tous les autistes de la même manière. C’est une vérité toujours ainsi vécue par les parents, les éducateurs, les enseignants et les thérapeutes. Par conséquent, aucun traitement, aucun projet éducatif, qui commence à partir d’un « pour tous les autistes, la même chose », ne peut recevoir notre confiance. Nous demandons donc clairement que les praticiens qui s’orientent de la psychanalyse puissent continuer de travailler et d’accompagner nos enfants dans les différentes institutions de soins de notre pays. Cela représente pour nous un droit fondamental.

  1. La rééducation

Les enfants autistes réveillent chez les adultes un désir de restituer à l’enfant tout ce qui est interprété par eux comme ce qui leur manque : manque de parole, d’attention, d’intérêts, d’obéissance, etc. Cette réponse de l’adulte oublie souvent que ce que l’enfant autiste ne fait pas en empruntant les chemins standardisés, il y est suppléé d’une autre façon. Les techniques de rééducation, qui sont aujourd’hui exigées pour tous les autistes, négligent cela et demandent à l’autiste qu’il réponde aux idéaux des adultes « normaux » qui l’entourent. Elles prétendent apprendre à l’autiste à ne pas être autiste. C’est comme si ces techniques cherchaient à apprendre aux aveugles à voir en les soumettant à des images, au lieu de les aider à développer leurs autres sens.

Chers membres de la Commission de l’Enfance, ce que nous souhaitons vous transmettre, à partir de ces huit points, est un argument en réponse à l’attaque à laquelle nous sommes confrontés ces dernières années. Cette attaque vise les piliers fondamentaux de notre société catalane. Cette société a réussi à tisser un réseau de soins dans l’éducation publique ainsi que dans le tissu social et associatif qui s’est construit pendant des décennies de démocratie.

La volonté d’ingérence dans les modèles publics ne devrait pas être exercée sans un dialogue et un consensus. Toute intervention unilatérale ne pourra provoquer qu’une opposition. Il est important de se méfier d’un collectif de parents qui s’érige en unique porte-parole d’une cause, fusse-t-elle légitime.

Je voudrais maintenant vous parler d’Hector, mon fils. Lorsque nous avons constaté que les choses n’allaient pas comme elles auraient dû aller, il avait presque deux ans. Je me souviens très bien de la première psychologue d’un service public que nous avions contactée. Lors de cette première visite, elle nous avait annoncé qu’elle ferait passer à notre fils un des tests qui sont utilisés occasionnellement pour savoir s’il s’agit d’autisme. Elle sortit alors un livre de sa boîte et le lui donna. Elle nous dit vouloir évaluer la façon dont il manipulait les objets. Hector le prit avec les deux mains et tourna immédiatement les rabats du livre, mais en sens inverse, jusqu’à ce qu’il obtienne un son, un « crac » en forçant sur le dos du livre. Ensuite la psychologue, très sûre d’elle, a rempli la case correspondante du test, en nous faisant savoir qu’Hector ne manipulait pas correctement les objets.

Aujourd’hui, Hector a presque onze ans. Au-delà des difficultés actuelles que je n’aborderai pas ici, il est maintenant passionné de musique, tout particulièrement les Variations Goldbergde Bach, surtout la première version que Glenn Gould fit dans les années 1956. Hector a l’oreille absolue, joue du piano, mais extrait également des sons de toutes sortes d’objets. Il enregistre dans son iPad ses propres compositions improvisées, en synchronisant, par exemple, les sons d’un clavier, le bruit frénétique produit par un verre qui tourne, et le bruit de la chasse d’eau des toilettes. Ses compositions sont faites dans un style qui rappelle l’expérimentation musicale infantile de musiciens contemporains célèbres, comme Robert Gerhard ou Oliver Messiaen. Nous ne doutons plus aujourd’hui que son intérêt pour la musique, les sons, les bruits, le silence, lui vienne de ce premier objet d’intérêt : l’objet sonore. Loin de sous-estimer sa première activité qui était d’extraire le bruit des livres ou des anneaux en les faisant tourner, le travail qu’il débuta ensuite auprès de la psychanalyste qui le reçoit encore jusqu’aujourd’hui, est ce qui lui a permis d’aller au-delà de son autisme, au-delà de ce qui au départ commença comme une répétition ad libitum,comme une obsession stérile, diraient certains, d’aller au-delà d’un comportement qui avait été enregistré dans ce test comme un dysfonctionnement. Je pense que si nous avions accepté la proposition comportementaliste de modifier ses comportements « inutiles », nous aurions sérieusement entravé sa recherche et son invention si singulière.

Par ailleurs, les livres qu’il aime le plus en ce moment sont ceux qui contiennent un grand nombre de pages. Hector les utilise pour pouvoir suivre la numérotation des pages et prononcer leur numéro en espagnol, catalan et anglais. Maintenant, il a appris à lire et à écrire d’une manière qui est très liée aux sons des mots qui désignent les nombres et les lettres. Le centre dans lequel il est scolarisé, qui a su favoriser tous ces progrès, sait bien qu’il est essentiel de respecter le plaisir qu’il obtient à partir de cette exploration et qu’il est important de ne pas chercher à en faire un apprentissage formel. C’est une condition incontournable pour qu’il puisse continuer à soutenir son intérêt.

Pour conclure, je voudrais expliquer quelque chose que, depuis notre association TEAdir, nous apprenons des enfants atteints d’autisme. Donna Williams, que nous connaissons à travers ses témoignages publiés, fait référence à son expérience comme autiste en disant que, pendant son enfance, elle se débattait dans une lutte constante pour, d’une part maintenir le monde extérieur loin d’elle, et d’autre part chercher à l’atteindre. Ceci est la vraie bataille que mène chaque enfant autiste, en se débattant contre ce qui peut devenir inquiétant, que ce soit le trop de paroles ou au contraire le silence. Nous considérons l’autisme comme le gel d’un enfant juste avant le moment de son entrée dans la parole et dans le lien avec l’autre. C’est à ce moment précis qu’il s’arrête, s’en protégeant à travers l’installation de circuits restreints à partir desquels il obtient une satisfaction qui lui est absolument précieuse, nécessaire. Nous comprenons ainsi l’allusion du psychanalyste Jacques Lacan faisant de l’autisme le stade natif de tout sujet. Pour entrer dans le champ de l’autre, l’enfant doit consentir à perdre quelque chose. Lorsque cela n’advient pas, se déchaîne la symptomatologie dite autistique qui place les parents face à une énigme qui ne peut pas être résolue avec des propositions standardisées.

Un enfant autiste est d’abord et avant tout un enfant, qui est immergé dans deux processus très complexes :

  1. Se protéger de la présence des autres, qu’il ressent comme agents d’une exigence à renoncer à ses objets, à ses circuits et à ses façons d’obtenir à travers eux une constante satisfaction.
  2. Éloigner les adultes de tout ce qui peut lui servir à construire sa version propre de la façon dont doit fonctionner le monde autour de lui. Cette construction, souvent invisible aux yeux des adultes et étrange au sens commun, devient vite son centre d’intérêt, mais aussi une source à partir de laquelle extraire un sentiment de vie.

Si la psychanalyse nous a permis de pouvoir saisir la singularité de nos enfants au sein de leur autisme, c’est parce que les professionnels qui s’orientent de cette approche, – des psychologues très certainement, mais aussi des orthophonistes, des physiothérapeutes, des psychomotriciens, des pédiatres, des enseignants, des éducateurs musicothérapeutes, entre autres, – restent particulièrement attentifs à la façon dont un enfant autiste extrait a minima un sens à la vie. N’est-ce pas ce à quoi aspire n’importe qui parmi nous ?

Enfin, nous défendons l’idée que l’attention portée à l’autisme ne peut être autre que globale et multidisciplinaire :

– La globalité implique que l’aide apportée à l’enfant de façon ambulatoire ne suffit pas. L’attention doit également inclure l’accompagnement des familles, l’adaptation du milieu scolaire aux besoins spécifiques de l’enfant, et l’adéquation des espaces de loisirs. C’est de fait, le modèle promu par la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

– Une approche multidisciplinaire devient dès lors essentielle pour répondre aux divers besoins de la personne tout au long de sa vie. Au-delà des approches, des techniques ou des traitements, au-delà des soins aux personnes, promus par les directives européennes en vigueur, nous devons répondre aux problématiques, complexes dans certains cas, qui surviennent surtout lorsque le sujet entre dans la puberté et l’âge adulte.

Nous sommes conscients que ceci n’est pas l’objet de cette Commission. Nous avons à traiter, – administrations, professionnels, politiciens et familles –, une question beaucoup plus urgente. Que des adultes avec autisme, ou avec un trouble mental sévère, également certains adolescents avec un diagnostic d’autisme, tous déjà évalués par la CAO (Service d’évaluation et d’orientation pour les personnes handicapées), qui a été favorable au service résidentiel au vu de leur impossibilité réelle à vivre et à être soutenus par leurs familles, se voient refuser ressources et aides aux soins par les services sociaux et de santé, du simple fait d’avoir atteint l’âge de la majorité. Je veux ici mentionner de façon spécifique certains des jeunes qui accompagnent notre association et qui sont dans cette situation : Alex Peña, Roman Pise et Carlos Lozano.

Dans notre association, nous sommes témoins de situations d’urgence auxquelles sont confrontées certaines familles. Face aux crises sévères de leurs enfants, il ne leur reste qu’un seul moyen pour y faire face : l’hospitalisation. De plus elles doivent obéir à l’exigence supplémentaire de leur présence obligatoire pendant toute la durée de l’admission. Admission qui se fait d’ailleurs dans une absence totale d’approche thérapeutique, avec des prescriptions de fortes doses de médicaments, avec aussi un système de contention pour maintenir attachés le jeune pendant les périodes de crise les plus aiguës.

Les enfants autistes sont au centre d’une lutte acharnée, dans laquelle des intérêts de toutes sortes sont liés. Mais nous avons devant nous une réalité que nous ne pouvons pas ignorer : quels modèles de soins pouvons-nous offrir aujourd’hui aux adolescents et aux adultes qui n’ont pas trouvé une solution efficace pour donner un minimum de sens à leur vie ?

En tant qu’Association TEAdir, nous vous demandons donc:

  1. De promouvoir le débat d’idées autour de l’autisme.
  2. D’accueillir et recenser les différentes positions sensibles autour de cette question si complexe.
  3. De protéger les droits fondamentaux de l’exercice de nos professionnels et de la formation professionnelle qu’ils choisiront librement.
  4. De demander leur déclaration explicite aux divers groupes des professionnels concernés, ainsi qu’aux différentes écoles de psychanalyse, concernant la formation de leurs professionnels et l’éthique de leur pratique.
  5. De répondre aux diverses demandes des associations qui sont représentées aujourd’hui et d’autres qui travaillent ardemment pour l’amélioration de l’autisme de ses adhérents.

Nous défendons la pluralité des approches et le droit démocratique des parents à choisir le type de traitement qu’ils jugent le plus approprié pour leurs enfants. C’est notre cause en tant que parents. Tout ce que nous dirons de l’autisme de nos enfants, sera issu de notre propre interprétation. Les enfants autistes ont une relation directe avec l’ineffable, et c’est à vous et à nous qu’il appartient d’y répondre.

Ivan Ruiz, président de TEAdir

Traduction : Marina Alba de Luna