


Mental n°30 – Nouveaux appareillages du corps
Editorial
Le langage, que Lacan nommait le grand Autre, est une grande machine, pure répétition, à laquelle nous sommes tous accrochés. Selon les époques, cet Autre prend des figures différentes.
Aujourd’hui, nous habitons un monde dominé par le discours scientifique et ses sous-produits distribués massivement. « L’appareil remplace la chose », celle que l’on façonnait avec les mains. Cette donne constitue un « nouveau genre de réel », en tant qu’impossible à supporter. Une autre façon d’attraper le malaise dans la civilisation que la manière freudienne. Ce n’est plus le malaise attrapé « à partir du refoulement, de l’incommodité où se trouveraient les pulsions du fait du refoulement ». C’est le malaise attrapé à partir de ce que la civilisation est aujourd’hui dominée par le discours scientifique. Un malaise attrapé à partir de l’objet-machine, « de la machine en tant qu’elle reconfigure le monde », et dont nous pâtissons jusque dans notre corps.
Nous intitulons ce numéro Nouveaux appareillages du corps. Il comporte trois parties. La première reprend quelques interventions du dernier Congrès de la NLS, qui s’est tenu à Athènes, à propos du Sujet psychotique à l’époque Geek. La seconde, l’introduction de Jacques-Alain Miller au prochain Congrès de la NLS, qui se tiendra à Gand : l’Autre est sans Autre, sans loi qui le garantisse. Et la troisième, un Séminaire sur l’autisme animé par Éric Laurent à Bruxelles. « Faut-il laisser les autistes se brancher sur des machines, ou faut-il couper leur machine pour qu’ils parlent aux gens ? La machine est-elle un appui ou un encombrement ? Ce faux dilemme se trouve aujourd’hui dépassé par cette production extrêmement intense qui fait lien social. Et c’est probablement au cas par cas qu’il nous faut répondre à cette question.»
Monique Kusnierek
Sommaire
LE SUJET PSYCHOTIQUE A L’EPOQUE GEEK – NLS – ATHENES 2013
Les parlêtres et les objets de la science
Dominique Holvoet En introduction
Epaminondas Theodoridis Les adolescents à l’époque Geek
François Ansermet Certitudes digitales
Miquel Bassols Le langage comme trouble du réel
Yves Vanderveken Points de perspectives cliniques
Clinique
Dossia Avdelidi Une excellence forcée
Anne Béraud « Être lignée »
Lieve Billiet Un tombeur en série
Richard Bonnaud Morceaux de femmes sur écran
Joost Demuynck Le cas R ou quitter le point zéro
Noa Farchi Des mo(r)ts qui habitent le corps
Marina Frangiadaki La constitution du corps chez l’autiste
Claudia Iddan « Je suis bloqué »
Beatrice Khiara-Foxton Disparition d’une hallucination
Théodora Pavlova « Je me reconstruis »
Dora Pertesi Le Professeur
Claire Talébian De machines en musique
Herbert Wachsberger L’Ange du bizarre à l’époque des spectres
Des solitudes possibles
Séquence animée par Jacques-Alain Miller
Ruzanna Hakobyan La solution par l’art moderne : la création de l’artiste Marina Abramović
Sophie Gayard « Ça veut dire »
Nassia Linardou-Blanchet Plasticité de la jouissance à l’époque Geek
Outrepasser la solitude
Conversation des ae, animée par Anne Lysy et Miquel Bassols
Anne Lysy Introduction
Marie-Hélène Blancard Une singulière Odyssée
Bruno de Halleux L’autiste, le Geek et l’objet
Discussion
VERS LE PROCHAIN CONGRES DE LA NLS – GAND 2014
Jacques-Alain Miller L’Autre sans l’Autre
QUESTIONS SUR LES AUTISMES – BRUXELLES 2013
Séminaire de formation animé par Éric Laurent
Atelier de psychanalyse appliquée de Bruxelles
Avec la participation de Marie Brémond, Denis Chaidron, Anne Chaumont, Étienne Dubois, Maud Férauge, Sïnâ Foroughi, Justine Junius, Bogdan Kusnierek, Marie-Lou Meert et Itxaso Muro Usobiaga.

Mental n°29 – La lettre du symptôme
Éditorial
Lire un symptôme – Tel-Aviv
Anne Lysy Viser le réel du symptôme
Gil Caroz Lire, au-delà de l’identification
Dominique Holvoet Au bonheur du symptôme
Claudia Iddan Lire un Un–heimlich
Rik Loose Un cas de pornographie compulsive
Marco Mauas On lit, puisque tout n’est pas écrit
À propos d’un cas et de « l’équivoque du zéro »
Myriam Mitelman Histoire d’un symptôme
Pierre Naveau Quand un événement de corps se produit
Anna Pigkou Lire un symptôme musical
Florencia Shanahan L’étoffe d’un symptôme
Herbert Wachsberger Mélancolie, symptôme, angoisse
Éric Laurent La psychose ou la croyance radicale au symptôme
Conversation des ae à Tel-Aviv : Usages du symptôme à la fin de l’analyse
Anne Lysy Introduction
Leonardo Gorostiza Après, à l’envers
Éric Laurent Commentaire
Paola Bolgiani Saut dans le vide
Éric Laurent Commentaire
Sonia Chiriaco « Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre »
Éric Laurent Commentaire
Discussion
Multiplicité des identifications, unicité de la jouissance – Bologne
Luisella Brusa Stabiliser l’instable
Sur le pouvoir différentiel de l’identification analytique
Raffaele Calabria Désir et identification dans les cures analytiques
Maurizio Mazzotti Entre équivoque et corps
les AE à Bologne et ailleurs
Patricia Bosquin-Caroz De l’identification idéale à l’identification au symptôme
Sergio Caretto Mimanchì ! Tu m’manques !
Araceli Fuentes Le relief de la voix
Pilar Gonzalez Temps et vérité dans une expérience analytique
Maria Laura Tkach La vie est-elle un songe ?
Corps écrits, corps parlés – Saragosse
Neus Carbonell Le corps dans la première enfance
Esperanza Molleda Dimensions du corps dans un cas de névrose obsessionnelle
Manuel Montalbán Peregrín Anatomie lacanienne et transsexualisme
Kafka & Joyce
Fernand Cambon La colonie pénitentiaire de Franz Kafka : une monstrueuse machine à écrire
Ginette Michaux James Joyce : de l’image comme soutien au sinthome
Analyse de la nouvelle Les Morts (dans Dublinois)
Deuxième Congrès Européen de psychanalyse – Pipol 6 – Bruxelles
Gil Caroz Après l’Œdipe
Diversité de la pratique psychanalytique en Europe
Gil Caroz Le cas, l’institution, et mon expérience de la psychanalyse
Introduction aux simultanées cliniques de pipol 6
Errata
Silvia Graciela Cimarelli Se rencontrer, s’affronter entre lapsus et erreur

Mental n°27/28 – La Santé mentale existe-t-elle ?
Éditorial
Bruxelles, capitale de l’Europe, deux et trois juillet 2011. Le congrès de Fondation de l’EuroFédération de Psychanalyse – efp – rassemble mille cinq cent cinquante congressistes, venant de dix-neuf pays d’Europe, autour du titre La Santé mentale existe-t-elle ? Ce congrès se déroule en cinq langues. Les médias en parlent, des politiciens sont informés, la ville de Bruxelles offre un cocktail d’accueil à la délégation de l’efp dans l’Hôtel de ville de Bruxelles. Le Conseiller régional de l’oms pour la santé mentale – Région Europe envoie un message à l’attention des congressistes.
Ce Premier Congrès Européen de Psychanalyse – pipol 5 – se déroule sous le signe du grand nombre de praticiens adhérant à la psychanalyse d’orientation lacanienne en Europe. À la date du congrès, l’efp compte plus de deux mille adhérents. Par ailleurs, l’Annuaire des Régions de l’EuroFédération de Psychanalyse recense cinquante-huit régions et quatre-vingts sous-régions en Europe. Chacune de ces régions rassemble une communauté de travail composée de praticiens réunis autour de la psychanalyse d’orientation lacanienne.
Ces jours-ci, la résistance à la psychanalyse passe à l’acte dans la civilisation. La psychanalyse n’est plus uniquement l’objet d’un débat éthique, épistémique et clinique. Elle est aussi l’objet d’une volonté de légiférer et d’une tentative d’assujettissement à une gestion politique et administrative. Dans de tels moments, il est important de « faire nombre ». Pourtant, l’essentiel de notre éthique reste ancrée dans le souci du cas par cas et de sa singularité la plus intime. Voilà pourquoi nous avons choisi de publier dans ce numéro de Mental l’ensemble des travaux présentés lors de ce congrès. D’une part, cet ensemble fait nombre, et d’autre part, nous n’avons pas cédé sur la qualité du singulier. Chaque texte a été choisi, élaboré, retravaillé, soigné, choyé.
La question de savoir si la Santé mentale existe n’est pas, pour nous, une vraie question. C’est une formule rhétorique qui fait valoir que le concept de santé mentale n’est qu’une fiction utilisée pour détourner le regard du réel et endormir les populations en appliquant une logique de masse sur une clinique « psy » qui ne peut pourtant répondre que par la logique du singulier, celle du pas-tout. C’est sous l’angle de cette conviction que les textes de ce numéro de Mental doivent être lus. Une lecture que nous vous souhaitons fructueuse.
Gil Caroz
Président de l’EuroFédération de Psychanalyse
Gil Caroz est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, de la New Lancanian School et de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Il est actuellement Président de l’EuroFédération de Psychanalyse.
Première partie : La santé mentale existe-elle ?
Matt Muijen Message du Conseiller régional de l’oms pour la Santé mentale – Région Europe.
Leonardo Gorostiza Message du Président de l’Association mondiale de Psychanalyse.
La psychiatrie aujourd’hui
Éric Laurent L’illusion des scientistes, l’angoisse des savants
Montserrat Puig Prévenir avec des psychotropes : nouvel usage, nouvelles jouissances
François Ansermet Les promesses du dsm 5
Santé mentale et Société hypermoderne
Marie-Hélène Brousse Le surmoi sous l’empire de la logique du « peer to peer » : variations cliniques
Vicente Palomera Crime et santé mentale
Gérard Wajcman La loi des séries
Notre humanité
Francis Wolff La santé mentale à la lumière des représentations contemporaines de l’homme
Clotilde Leguil, Alexandre Stevens, Alfredo Zenoni Discussion
Lacan ou la renaissance permanente de la clinique
Judith Miller
Antonio Di Ciaccia
Idéologies et « États thérapeutiques »
Emilia Cecce L’OMS entre la dérive bio-socio-psy et l’impasse de la civilisation
Roger Litten Le modèle anglais
Pierre-Gilles Gueguen Happynomics : les utopies du bonheur
Biopolitique
Davide Tarizzo Biopolitique et « santé mentale »
Miquel Bassols,
Paola Francesconi,
Philippe La Sagna Discussion
Jacques-Alain Miller Parler avec son corps
Seconde partie : Quand il y a de l’analyste chez le clinicien
Gil Caroz Argument
Mariana Alba de Luna Un désordre bruyant
Solenne Albert Vouloir faire parler équivaut à faire taire
Christiane Alberti Un rêve, au-delà de la structure
Carmen Alda Nageant dans les eaux surmoïques de la santé mentale
Monique Amirault La santé mentale de l’analyste,c’est son inhumanité
Despina Andropoulou L’analyste : une clinicienne déphallicisée..
Begoña Ansorena Anza Du discours du mental
au discours psychanalytique
Dalila Arpin Avoir ou se faire une place,that’s the question
Gian Francesco Arzente La reine du sexe
Alejandra Atencio Déclinaisons du début
Stefano Avedano La demande insupportable
Vessela Banova Une fille à succès
Marie-Hélène Blancard Livre de chair
Katy Lisbeth Boidin Le reste des « restes »
Hélène Bonnaud Le noir de la mère
Ludovic Bornand Un savoir troué
Patricia Bosquin-Caroz Mère-enfant
Béatrice Brault-Lebrun Même le loup des forêts a peur de son père !
Susana Brignoni Cerner l’obstacle
Guy Briole L’issue d’un syntagme baroque
Sergio Caretto « Il le persécute ! »
Francesca Carmignani L’assassine et l’assassinée. Du traumatisme au deuil
Laura Ceccherelli La chute mélancolique et la fonction de l’imaginaire
Sonia Chiriaco Logique de l’acte
Silvia Cimarelli Se rencontrer, s’affronter entre lapsus et erreur
Sandra Núñez Cisternas Dire « oui ! »
Jaime Claro Gomez Du diagnostic clinique au fonctionnement symptomatique. À propos d’un cas
Maria Rita Conrado « Elle est folle ou pas ? ».
Paola D’Amelio L’équipe jamais réalisée
Anne Debecker Du « care » au pire
Joost Demuynck Faire naître
Jean-Pierre Denis Le « Petit Prince » à l’orphelinat
Eugenio Díaz Sauver un enfant de la disparition
Laurent Dumoulin Ce que l’on met en jeu
Isabelle Durand Lorsque l’élucidation permet l’acte
Martin Egge Au-delà d’un bien obstiné
Graciela Elosegui De l’angoisse à l’énigme
Graciela Esebbag Ni lire ni écrire
Pascale Fari « De quoi j’m’emmêle
René Fiori Les turpitudes du fantasme
Armelle Gaydon La face cachée du récit de cas
Rachele Giuntoli Un élément linguistique
Erik González Où un accompagnateur-accompagné devient analysant-pratiquant
Annette Gouzou Le désarroi du gardien de la santé mentale
Chantal Guibert L’impossible monsieur bébé
Angelina Harari L’objet idéal
Philippe Hellebois « Comment l’appelez-vous ?
José Ignacio Ibáñez « Basta !
Franciane Jeuniaux L’appel des suicidées
Justine Junius « Toi, tu sais bien dessiner
Janusz Kotara L’analyste agit pour que l’analyste agisse
Bogdan Kusnierek « Le coup de poing, c’est le directeur ! »
Monique Kusnierek Retour chez le même
Virginie Leblanc « Rendez-moi ma petite fille !
Lebovits-Quenehen Sauveteuse à secourir
Jean-François Lebrun « Dites-moi si je suis folle
Clotilde Leguil Circuit fermé
Fouzia Liget La levée du voile recouvrant un savoir interdit
Élisabeth Marion « J’ai rendez-vous avec vous »
Marco Mauas « Cent pour cent mère »
Mebtouche-Garadi Une résonance
Gabriela Medin Un lieu singulier entre pédiatres
Céline Menghi Du non possum à la reddition
Dominique Miller Quand un sujet moderne préfère la finalité à la causalité
Esperanza Molleda Un transfert qui s’emmêle
Laure Naveau Jalousies ordinaires et extraordinaires
Gaël Nevi Un sourire pour faire taire le silence
Nafsika Papanikolaou Aider la mère – Une « mère » qui aide
Patrick Paquier Top Body
Juliette Parchliniak De la distraction
Daniel Pasqualin Voisins de coupure
Dora Peterssi L’hystérique et l’amour pour le père
Thérèse Petitpierre Débusquer les oripeaux du surmoi
Yasmina Picquart Mé-prix|
Claire Piette Donner de la voix
Guy Poblome La fille aux dix heures
Elisabeth Pontier L’irréparable, une boussole
Nicolas Purgato Un pour tous ou tous pour un ?
Claude Quenardel Attitude analytique
René Rasmussen Aller à la rencontrre de l’Autre
Josefa Rodríguez Perez Des-ligar (Dé-tacher)
Catherine Roex Soutenir le père au-delà de la mère ?
Carla Rojo Martinucci Des accidents à l’entrée
Franck Rollier Ce qui manquait aux thérapeutes
Giovanna Romano Une position différente
Velázquez Romo La rencontre avec un enfant autiste
Jean-Pierre Rouillon « Dites-le avec des fleurs !»
Iván Ruiz Une angoisse humide face au surmoi féminin
Ricardo Schabelman Une façon de faire avec l’institution
Marc Segers De l’expert à l’objet
Marta Serra Frediani Être une promesse
Bernard Seynhaeve De l’énoncé à l’énonciation
Florencia F. C. Shanahan Still life
Shirley Sharon-Zisser L’ironie de la féminité
Chantal Sicard-Alberti Le compas dans l’oeil
Pascale Simonet Leurres de la tromperie
Laura Sokolowsky Sortir du silence
Laura Storti L’analyste seul, pas sans l’équipe
Mikhaïl Strakhov Un chien, un chat et la mort
Isabelle Stréliski Les façons de s’effacer
Pierre Stréliski Détachements
Glenn Strubbe Mi-dire !
Eric Taillandier Un jeu de tapis
David Teetaert « Tu es si silencieux ! »
Maria Laura Tkach Accueillir le trou dans le savoir
Nicole Tréglia Interdite. Ne rien vouloir pour elle
Jean-Charles Troadec Mais qui interprète ?
Leonora Troianovski Une rectification du vouloir faire voir
Elena Usobiaga « Je veux faire face »
Monica Vacca Entre l’attente et la coupure
Th. Van de Wijngaert « Arrêtez tout de suite ! »
Eugenia Varela O invente son contrôle d’histoire dans la séance de lundi
Thierry Vigneron La santé, l’objet, l’analyste
Natalie Wülfing Avoir une relation au langage
Simona Zaghini « Amour qui vient à moi, de moi tu t’enfuiras »
After
Lebovits-Quenehen De Sade à Claude François et retour : Le choix des armes

Forum : Désirs décidés pour la démocratie en Europe
Brèves annotations initiales
Vers le Forum “Désirs décidés pour la démocratie en Europe” du 18 Novembre 2017
Le titre du «premier Forum Européen du Champ freudien» qui se déroulera à Turin le 18 Novembre prochain, Désirs décidés pour la démocratie en Europe, proposé par Jacques-Alain Miller sur « Lacan Quotidien » n. 721 du 15 juin dernier, je le lis comme une invitation adressée en particulier aux psychanalystes lacaniens, à ne pas sous-estimer le risque, présent à tout moment, d’oublier la politique de l’acte. Une politique qui caractérise le psychanalyste qui se soumet à l’éthique orientée par le réel du parlêtre, au lieu de se soumettre à la politique de l’Autre. En ce sens, le psychanalyste, dans le cas où il y en ait, est en position contraire à celle du réel du discours capitaliste contemporain. Comme Lacan s’exprime dans la « Note italienne », sortir du discours capitaliste ne vise pas à la ruine du capitalisme, mais plutôt à faire en sorte que « l’analyse continue à faire prime sur le marché ».
Pour moi, « désirs décidés » se réfère à des actes qui permettent à la psychanalyse de continuer à « faire prime sur le marché ». Ils introduisent aussi l’hypothèse d’une démocratie où accueillir les singularités facilite la possibilité de relativiser les plus-de-jouir en série de la société de consommation, faisant place au symptôme porteur de singularité subjective.
Dans le Séminaire L’envers de la psychanalyse, à partir des trois professions impossibles indiquées par Freud – gouverner, éduquer, psychanalyser –, Lacan définit le discours du maître, le discours de l’université et le discours du psychanalyste. Il ajoute ensuite le discours de l’hystérique, dont la fonction est de faire désirer. Dans un second moment il ajoute le discours du capitaliste dont l’objectif se révèle aujourd’hui de faire consommer.
Il est fondamental de considérer que la relation de pouvoir existe depuis toujours, mais pas le discours du maître que nous ne trouvons pas dans les sociétés dites primitives ou mythiques.
Le discours du maître commence dans la Grèce antique, avec la naissance d’un ordre fondé sur le droit et la notion de responsabilité. Il débute avec Œdipe roi, qui devient roi non pas de droit divin ou pour quelque filiation mythique, mais pour avoir vaincu le Sphinx. Œdipe veut résoudre le symptôme social qui terrorise le peuple et ne se rend pas compte d’être lui-même la cause du désastre qui afflige la ville.
Il s’agit de faire fonctionner le discours du maître sans incarner le maître : d’où la nécessité de la Constitution et de l’Etat de droit.
Lacan lui-même nous enseigne que si le discours du maître naît avec Œdipe roi, le discours de l’hystérique naît avec Socrate qui fait fonction d’aiguillon des consciences. Il interroge le maître sur ses actions, le contraint à produire un savoir et ouvre une mise en question de l’autorité. Au-delà de ce que fut la position de Socrate sur la démocratie athénienne, il a été considéré le précurseur des idéaux démocratiques, de l’idéal de liberté et de l’autonomie du sujet.
Tandis que Socrate demande raison au maître, Platon veut réformer le discours du maître en le fondant sur la raison. De la maïeutique au savoir constitué, qui est à la base du discours de l’Université.
Lacan place l’émergence du discours de la science, en tant que production de savoir, au niveau du discours de l’hystérique, qui met en cause l’autorité du maître. Celle-ci ne s’arrête ni devant l’autorité des gouvernants, ni devant l’autorité de l’Eglise. Elle promeut donc des idéaux de liberté, d’autonomie des sujets, de jouissances possibles.
Mais la science produit aussi un savoir qu’elle tend à placer en position de maître. Le vacillement du discours du maître, produit par la science, oscille donc entre la démocratie, comme effet de l’interrogation de l’hystérique, et la technocratie promue par le discours de l’Université.
L’époque dans laquelle naît la science moderne est aussi l’époque où triomphe le mercantilisme. La liberté devient liberté de commerce, de libre-échange, considéré comme la seule voie à suivre pour le gain que chacun y trouve.
Mais l’expérience montre que le libre-échange aboutit à l’injustice, l’échange n’étant jamais égalitaire. En outre, quel libre échange, si de nos jours la réponse à l’immigration de masse est celle de construire, de multiples manières, des murs ?
Où aboutit la démocratie aujourd’hui ? Quel acte peut relativiser la course au profit et à la performance qui met les produits de la science au service du gain de jouissance ?
Rosa Elena Manzetti
Traduction de Brigitte Laffay